par Chantal Zumwald
Constellation*Cendrillon / conception et mise en scène Laurent Gachoud / Cie de l’Oranger/ les 7 et 8 mai 2015 / Equilibre-Nuithonie / plus d’infos
Laurent Gachoud, prince-metteur-en-scène-thérapeute-dramaturge et géobiologue revisite, avec Constellation Cendrillon, l’illustre conte issu de la tradition orale napolitaine recueilli par Giambattista Basile au XVIe siècle et adapté ensuite par Perrault et par les frères Grimm. Défiant le temps, l’animateur de blanc vêtu tente de soulager, avec la complicité du spectateur et de Wikipedia, l’âme tourmentée d’une Cendrillon moderne qui veut se débarrasser de ses sceaux et balais, au moyen de la technique thérapeutique dite de « constellation familiale ».
Invisibles, les âmes habitent notre espace. Peut-être, parfois, émettent-elles quelque bruit, comme ces murmures qui montent dans la salle, tentant de couvrir les voix des spectateurs. Peut-être cherchent-elles à nous parler, comme avec ces mots projetés sur l’écran du fond de scène : «L’inspiration. Une expiration » : à chaque mouvement d’air, un peu d’ADN est partagé alentour. Chacun a reçu, en franchissant le seuil du théâtre, le numéro de son rôle dans ce spectacle, mais qui l’a compris d’emblée ?
Le maître des âmes sort de la pénombre en faisant crisser sous ses pas le gravier noir constellé de cailloux dorés qui scintillent sous la lumière avare d’une lueur ovale. Le morceau Ballade pour Adeline surgit, selon ses ordres, de son petit clavecin portable. Blackout provoqué par une jeune femme qui arrache les prises : renaissance d’un sphinx nommé Cendrillon ? L’animateur récite la définition wikipédienne de cette thérapie transgénérationnelle qu’est la « constellation familiale », tout en illustrant ses dires de petites figurines de terre cuite. Huit personnes, les « constellants », viennent animer ses propos et incarner, en enfilant une nouvelle paire de chaussures, les personnages du conte, ou bien rester eux-mêmes, ou un diminutif d’eux-mêmes. Stéphanie Schneider est une Cendrillon particulièrement tourmentée qui tente de déconstruire son destin malheureux. On balaie, on aspire, on balaie encore et encore : les rôles vont et viennent, les jeux de vie se font et se défont, s’interrompent, des vides s’installent. Le maître fait participer ses autres marionnettes que sont les spectateurs.
Difficile de comprendre la trajectoire du spectacle. Mais le Prince a reconnu Cendrillon à son odeur : ils ont traversé le temps… et les rôles, passés au mixer de la vie, que Cendrillon apporte sur scène. Réflexion sur la dépendance amoureuse ? « Est-ce que je suis ta source ? Tu es la source de ma vie, mon équilibre cosmique». Des aspects de la vie défilent : jalousie, pureté, destinée, colère, complaisance, chance, amour, néant. Une petite fille en robe blanche à liseré rose, seule, prend place au centre du plateau. L’écran affiche : « La petite fille attend que vous lui racontiez l’histoire de Cendrillon ». Elle attend : « Alors ? ». Tic-Tac. Cloches d’église. Perplexité dans le public. Elle sort. Sur l’écran : « Je suis. J’étais… ». Des chiffres, des codes lumineux défilent sur le pourtour de la scène : machine et mystère de la vie, de la création, de la mort. Les figurants-ombres se distinguent à peine dans la pénombre. Gros plan sur une Cendrillon moderne qu’on affuble de lunettes, de perruques… : quelle liberté pour toutes les Cendrillon ? « Fuck prince », lit-on. Le prince est assis sur une chaise, se remémore des souvenirs avec sa grand-mère. Cendrillon berce le prince accompagnée de Sinead O’Connor : « nothing compares to you …».
Le temps passe, les mêmes questions demeurent, Cendrillon n’est pas libérée, et le spectateur est perdu : en ce sens, opération réussie pour Constellation Cendrillon qui communique au public un sentiment de frustration. « Notre ombre nous court toujours après », affirme Laurent Gachoud.