Orlando ou l’impatience
Mise en scène et création par Olivier Py/ du 23 au 26 avril 2015 / Comédie de Genève / Critiques par Léa Giotto et Laura Weber .
23 avril 2015
Par Léa Giotto
L’Impatience à bout
Questionner le théâtre au travers du théâtre et en faire une métaphore du rapport au monde : voici l’ambitieux projet qu’Olivier Py, directeur du Festival d’Avignon, propose dans Orlando ou l’Impatience présenté à la Comédie de Genève jusqu’au 26 avril.
Afin de conduire le spectateur dans les dédales de sa réflexion sur le théâtre et ce qu’il révèle sur la complexité d’être au monde, Olivier Py invente une histoire, celle de la quête d’un père. Tandis qu’Orlando (Matthieu Dessertine) cherche un père, le théâtre part en quête d’identité, et s’explore pour découvrir ses limites.
Orlando ne peut se fier qu’à sa mère (Mireille Herbstmeyer) comédienne extravagante et inconstante, incapable de se souvenir avec qui elle a passé la fameuse nuit de l’inauguration du Cristal Palace. Elle donne à son fils, à chaque acte, une réponse vague et différente qui le lance sur les traces d’un père fantasmé. Accompagné dans sa quête par ses deux amants (François Michonneau et Laure Calamy) avec lesquels il entretient une relation tumultueuse et passionnelle, Orlando va ainsi à la rencontre de ses pères potentiels (incarnés par Philippe Girard). Tous sont metteurs en scène, et tous ont une conception du théâtre illustrant un rapport au monde fondamentalement différent. Le premier est un poète torturé, le second est un agitateur politique et le troisième cherche, à travers le théâtre, à répondre à des questions métaphysiques : autant de candidats possibles au rôle de père. Orlando cherchera à les séduire, les uns après les autres, en s’adaptant, en acceptant lui-même tous les rôles possibles et en se remodelant à chaque fois pour tenter d’approcher l’univers de celui à qui il cherche à s’affilier. Cependant, aucun de ces pères ne semble se réaliser au travers du théâtre car tous l’exploitent tel un moyen, non une fin, et se heurtent à ses limites. Et c’est bien là le but d’Olivier Py, qui cherche en mettant en scène le théâtre face à ses propres extrémités à nous en rappeler la force.
Cette mise en abyme est encadrée par une multitude de procédés jouant sur l’illusion et qui propulsent le spectateur dans un désordre qui sert de toile de fond à la pièce. Tels les décors, tournants, assemblés et désassemblés, qui sont une constituante à part entière de la pièce et appuient ce sentiment nécessaire de confusion, ou les luminaires en forme de toiles d’araignées qui créent une profondeur d’espace troublante. Les personnages, quant à eux, complexes, fins et portés par des acteurs dont la présence scénique est remarquable, sont particulièrement savoureux. Surgit surtout un humour précis, qui allège le dispositif en jouant sur les différents niveaux de théâtralité, et sur l’absurdité des questionnements lorsque sont mises côte à côte, par exemple, les problématiques du sens de la vie et du manque de magnésium. La quête d’Orlando est rythmée par des personnages décalés, tel le ministre de la culture (Eddie Chignara) qui, évidemment, méprise l’art, l’intervenant comique (Jean-Damien Barbin) qui met tour à tour la diction ou l’ostéopathie au coeur des troubles de l’humanité ou encore le pianiste (Stéphane Leach) qui rythme la pièce.
Cependant, si la pièce est portée par une forte intelligence, celle-ci manque de s’étouffer sous un amas de longs discours qui fatiguent le spectateur. Ce questionnement du théâtre par lui-même semble parfois heurter ses propres limites, comme si, en cherchant à pointer certains dépassements, Olivier Py les touchait de trop près. Si le but avoué est de jouer sur le registre de la métacomédie, il semble parfois malheureusement que la critique s’essouffle ainsi d’elle-même.
23 avril 2015
Par Léa Giotto
23 avril 2015
Par Laura Weber
Le théâtre en mouvement
Olivier Py, directeur du festival d’Avignon depuis 2013, présente à Genève une comédie qui raconte le parcours d’Orlando, un jeune homme à la recherche de son père. Le spectateur est emporté avec le protagoniste dans une quête effrénée où chaque père potentiel incarne un théâtre possible. Car si Orlando ou l’impatience est parsemé de réflexions diverses sur l’état de la société, c’est avant tout de la puissance du théâtre qu’il traite.
Tout part de cette recherche. Mais l’intrigue ne se limite pas à la quête du père. Pendant son parcours, Orlando entreprend également une réflexion profonde sur toutes les possibilités offertes par le genre théâtral. Les rencontres successives avec ses pères potentiels, tous metteurs en scène, entraînent le jeune homme dans plusieurs théâtres possibles. En incluant toutes ces formes de représentation en son sein, Orlando ou l’impatience devient l’allégorie même du genre théâtral. Cette mise en abyme se retrouve dans la scénographie de la pièce où une scène mobile est insérée au sein de l’espace théâtral. Le spectateur est ainsi immergé dans les coulisses du théâtre et peut observer à loisir les manipulations des techniciens. Les deux parties communiquent entre elles. Chaque personnage endosse à la fois le rôle d’acteur et celui de spectateur. Entre le public et le théâtre, il n’y a finalement pas de rupture mais une continuité. Olivier Py célèbre la puissance de ce genre capable d’aborder et de magnifier n’importe quel sujet. Au demeurant, cette pièce est un manifeste du « théâtre comme totalité et la totalité comme théâtre ».
Cette pièce qui explore les possibilités infinies du théâtre montre également la fougue d’un jeune homme impatient et avide de savoir. La quête est une exploration débridée de diverses problématiques très variées. Olivier Py aborde ces questions avec la légèreté et la liberté du genre comique. L’hypocrisie des politiciens, les carences en magnésium, la place de la religion dans la société actuelle ou encore les problèmes néfastes de la mauvaise diction, tout cela est traité avec la même importance. Ces décalages excentriques permettent au réalisateur de transmettre, avec finesse et humour, des critiques pourtant acerbes. Au spectateur de démêler les vérités camouflées dans le bouillonnement des paroles énoncées par les personnages, eux-mêmes entraînés par un décor mobile, tournant sur lui-même. Pourtant, ce rythme débridé perd finalement son souffle. La pièce alterne des séquences comiques avec des moments plus solennels constitués de monologues tournant à de longues diatribes lassantes, qui empêchent parfois l’action de redémarrer. Dommage pour une pièce qui voulait sublimer toute la vitalité de l’art théâtral.
23 avril 2015
Par Laura Weber