par Camille Logoz
20’000 lieues sous les mers / d’après Jules Verne / par la Cie Imaginaire Théâtre / mise en scène Sydney Bernard / le 26 avril 2015 / Théâtre du Passage / plus d’infos
Un professeur qui fait parler ses vieux fossiles, un bureau qui se transforme en sous-marin : c’est dans un monde fantastique qui défie les frontières du réel qu’entraîne cette conférence à laquelle le jeune public est solennellement invité. Du grand spectacle.
L’expérience commence dans le foyer : des panneaux officiels indiquent l’entrée de la salle de réception, le programme est cérémonieusement remis aux invités. Le public est ensuite accueilli par l’assistant du Professeur Aronnax en personne, qui veille à son confort et dispense ses dernières recommandations avant l’arrivée du célèbre scientifique. Dans quelques minutes, celui-ci doit donner une conférence sur le voyage qui l’a rendu célèbre. Son exposé va révéler que ce qui devait être une chasse au monstre aquatique s’est transformé en un tour du monde sous-marin, dont il va maintenant conter les mille merveilles.
Ce qui s’annonçait comme une réception officielle au Muséum d’Histoire Naturelle prend alors la forme d’un voyage fantastique dans les profondeurs de l’océan, là où nous entraîne le récit du Professeur Aronnax, relayé par le dispositif scénique qui fait image de chacun de ses souvenirs. Si le décor semble d’abord plutôt austère, simplement composé d’un pupitre de conférencier et agrémenté de quelques bibelots de naturalistes (ossements, animaux empaillés, etc.), ce n’est que pour mieux cacher les étonnantes ressources dont il dispose. Chaque élément se transforme plusieurs fois au cours de la représentation, et de façon parfois surprenante : qui aurait pu prévoir l’arrivée du poulpe géant, dont les tentacules interminables débordent de la scène jusqu’au milieu de la salle ?
Cette scène fait mouche : les enfants crient, tendent les bras, tentent d’attraper un bout de ce spectacle magique qui se déroule sous leurs yeux. Car c’est bien aux plus jeunes qu’est adressée cette adaptation : le comique de répétition, l’assistant clownesque, les éléments interactifs, la participation du public, la part belle au fantastique et surtout le fond pédagogique donné à l’histoire font que l’on ne s’y trompe pas. Dans son spectacle, Sydney Bernard a choisi de faire ressortir le côté visionnaire et idéaliste écologique de Jules Verne, ce qui donne à cette fable merveilleuse une résonnance actuelle et concrète. Malgré un rythme soutenu et une histoire très condensée, le spectacle semble trouver son public, puisque la compagnie tourne depuis 8 ans et totalise un chiffre presque industriel de représentations : au terme de cette saison, ils auront atteint la 700ème.
La véritable force du spectacle réside cependant dans les évocations et développements scéniques que suscite la narration du Professeur. Tout naît et part de son récit. Plus celui-ci s’emballe, plus le décor se transforme de façon grandiloquente, et plus le public perd prise dans ce tourbillon merveilleux de souvenirs. Le pacte de scientificité, cher à Jules Verne, inhérent au format de la conférence et que Sydney Bernard conserve pour la leçon écologique qu’il délivre, importe assez peu. Tout se déroule à partir d’une seule et même impulsion, celle de l’imaginaire qui se répand, se développe de façon florissante et irrépressible jusqu’à envahir la scène entière, voire la salle de théâtre. Un spectacle très visuel, qui ne demande que l’abandon du public pour faire pleinement son effet.