par Jonathan Hofer
Affabulation / de Pier Paolo Pasolini / mise en scène Stanislas Nordey / du 3 au 13 mars 2015 / Théâtre de Vidy / plus d’infos
La mise à mort du père par le fils, cela relève du mythe. Affabulation inverse la tragédie sophocléenne, révélant l’infanticide par un père fou. Une descente aux enfers, soutenue par un texte incroyable.
La lecture de Pasolini n’inverse pas entièrement le mythe oedipien, mais montre une double dynamique, une double envie de castration. D’un côté le fils envers le père par désir pour la mère, d’un autre le père envers le fils pour sa puissance. Cette tragédie – au sens littéraire comme au sens commun du terme – prend place au sein de la grande bourgeoisie du nord de l’Italie. Bourgeoisie qui, dans la scène d’ouverture, voit sa stature remise en question par un songe, envahissant le jardin familial comme une brise avant la tempête.
Stanislas Nordey, fraîchement élu directeur du théâtre national de Strasbourg (TNS), connaît bien Pasolini. Affabulation est la sixième pièce de l’auteur italien que Nordey aborde – cette fois comme metteur en scène et comme acteur. Nordey aime le théâtre, le cinéma, la prose et la poésie de l’Italien. Pendant la création, toute l’équipe artistique s’est plongée dans ce monde de mots, d’images, les deux composants conducteurs du projet artistique.
Le metteur en scène ne donne qu’une consigne fixe à ses acteurs : respecter le vers libre. Tout le spectacle s’arrange autour du texte. Le décor – d’énormes murs, mobiles, qui changent de position entre et pendant les scènes, ainsi qu’un immense cadre où défilent successivement cinq œuvres de la Renaissance – se masse autour des acteurs, les accessoires sont inexistants. Les mots résonnent dans la salle, ils frappent, chamboulent. Quitte à casser le rythme narratif, celui du dialogue – des pauses interviennent entre le verbe et son complément par exemple – et, de fait, rendre les personnages parfois très peu naturels. Un prix que Stanislas Nordey paie volontiers pour que les mots œuvrent sur le spectateur.
Quand la langue de l’auteur est ardue, la mise en scène est une châsse où le joyau du texte se sertit. Nombre de scènes se présentent comme des tableaux où la symétrie entre les acteurs, d’incroyables et omniprésents jeux de lumière ainsi qu’une dynamique très lente polissent le lyrisme textuel.
Stanislas Nordey a pris la décision, dans sa mise en scène et dans son jeu, de ne faire aucune concession. Il se livre entièrement au texte. Le metteur en scène ne suit cependant pas Pasolini jusqu’au bout : l’auteur italien prônait un abandon de la mise en scène, une absence de décors, de jeu d’acteurs. Dans le compromis, certains aspects d’un spectacle théâtral « classique » – comme le réalisme des personnages, le rythme – sont refusés. Que les amoureux de la langue et les curieux n’hésitent cependant pas à se déplacer !