par Chantal Zumwald
Le Chat du Rabbin / d’après la bande dessinée de Joann Sfar / mise en scène Sarah Marcuse / du 19 au 22 mars 2015 / Grange de Dorigny / plus d’infos / en tournée jusqu’au 18 juin 2015
2002 : sortie du premier album de la bande dessinée Le Chat du Rabbin par Joann Sfar ; 2004 : première adaptation théâtrale par Camille Nahum ; 2011 : sortie d’un long métrage du même titre, réalisé par l’auteur (César du meilleur film en 2012) ; 2015 : le Chat réapparaît et contribue au soutien de Charlie Hebdo : fascinée, La Cie La Foumilière s’empare du scénario. Sarah Marcuse, en collaboration avec Radhia Chapot Habbes, le met en scène. Xénia Marcuse participe à l’adaptation et se charge des costumes, dans un décor de Nicolas Deslis.
De la pénombre de la scène, un nouveau monde se fait jour. Apparaît une carriole surmontée de quelques objets hétéroclites, de la cuisinière aux tabourets, accompagnée d’un cortège étrange de personnages au style bohème. De leurs instruments de musique, s’échappent des accords exotiques qui entraînent dans un autre temps, un autre lieu. Ce petit cortège aux tons insolites décharge prestement la carriole et met discrètement le décor en place. Aux petits bonnets ronds que certains portent, nous comprenons qu’ils sont de confession juive. Une famille composée du père, un rabbin, de sa séduisante fille et d’un drôle de chat se met à débattre sur ce perroquet qui ne cesse de bavarder et de répéter la fin des phrases prononcées. Le chat trouve la solution : il avale l’animal ! Nous le comprenons aux quelques plumes vertes qui tombent du ciel, sur la scène. Surprise ! L’intelligible langage hante maintenant le chat malicieux et cajoleur, magnifiquement interprété Xavier Loïra. Riche de cet attribut, il prie son maître, le rabbin, de lui permettre de participer à la célébration de la Bar Mitsvah. La demande est refusée, mais son maître accepte, après quelques conciliabules, de l’instruire à la thora, à condition qu’il n’adresse plus la parole à sa fille. Le chat usera de subterfuges, avec l’aide de sa maîtresse Zlabya, et bravera cet interdit.
Dans un décor évocateur, simple et très bien structuré, la mise en scène captive immédiatement par la présence conjointe de trois espaces distincts sur la scène, où se déroulent les épisodes successifs. La lumière, discrète, suit parfaitement ces jeux de scène, entraînant le spectateur dans ses mouvements. Les odeurs ne sont pas absentes et le spectateur en a l’eau à la bouche, les narines qui frémissent sous les effluves d’oignons grillés, puis du parfum de cônes d’encens. Les chants et les danses de Zlabya ravissent par leur spontanéité et leur charme. Le chat séduit lui, par sa grâce et ses réflexions philosophiques dont la pièce est truffée. De grandes questions philosophiques sont abordées sans en avoir l’air. Aplanir toutes les différenciations religieuses, c’est là une des motivations de Joann Sfar, comme il le dit lui-même : « J’adore les Arabes, les Juifs, mais la religion, ça m’emmerde. » Le Chat Rabbin, c’est un grand moment de ravissement, de forte intensité, pour tous les sens.