Berthollet / de Charles-Ferdinand Ramuz / mise en scène Mathieu Bertholet / du 26 au 28 mars 2015 / La Grange de Dorigny / plus d’infos
Que feriez-vous si vous vous retrouviez seul(e) au monde ? Directeur artistique et metteur en scène de la compagnie MuFuThe créée en en 2008, le Valaisan Mathieu Bertholet propose dans une transposition scénique de Berthollet, nouvelle écrite en 1910 par Charles-Ferdinand Ramuz, un regard singulier sur une oeuvre régionale, aux modes d’expression multiples et aux thématiques universelles : l’identité masculine, le deuil, l’isolement, le suicide.
Berthollet raconte la déchéance d’un boucher valaisan, un grand gaillard barbu, qui a perdu sa première fille, puis la seconde et enfin sa femme. Le temps passe mais il ne parvient pas à faire son deuil : le montagnard habituellement gai se retire chez lui, perd foi en Dieu, en la vie. Alors arrive le désespoir, et puis comme un appel de l’au-delà qui le pousse à aller se jeter dans la Sarine, parce qu’il n’a plus de raison de vivre. Après avoir été sauvé in extremis de la noyade par les frères Berthod, il est aidé par le prêtre du village qui lui impose un pacte, celui de faire son deuil afin de reprendre goût à vie. Parviendra-t-il à tenir parole?
Dominée par une étrange estrade lumineuse faite de plaques en plastique, de caisses en bois et de peaux de bêtes, la scène est entourée par le public, disposé en carré. Lorsque les lumières s’assombrissent, plusieurs comédiens commencent à exécuter conjointement les gestes quotidiens des montagnards aux champs, faits de labeur et de sueur. La répartition de la parole n’est pas déléguée de façon définie. Chacun des acteurs revêt plusieurs casquettes afin de permettre aux voix du narrateur, du boucher et du prêtre de faire écho. La chorégraphie, marquée par la simultanéité et la répétition des gestes, fait symboliquement corps avec le texte puisqu’elle accompagne le flux des mots et accentue la dimension du temps qui passe, marqué par les innombrables levers et couchers des comédiens. Malgré l’écoulement du temps, que les gestes scandent de façon délibérément longue et répétitive, les maux restent et le boucher ne parvient pas à faire son deuil. Ce choix de mise en perspective scénique permet de renforcer les sentiments de solitude, d’isolement et de désespoir de Berthollet, qui se sent plus que jamais abandonné par ses voisins villageois et par Dieu, victime d’une fatalité dont la seule issue est le suicide. Ou peut-être pas. Le serment sacré proposé par le prêtre lui rendra l’étincelle qu’il avait perdue, mais pour combien de temps?
La mise en scène de Mathieu Bertholet explore le théâtre et ses formes en mêlant deux dimensions langagières, textuelle et corporelle : en résulte un spectacle touchant et résolument contemporain, dans l’air du temps. Berthollet porte à la réflexion, répond à des questions par d’autres questions. C’est à partir du drame d’un montagnard bien de chez nous que Ramuz touche à l’universel en convoquant tour à tour les thématiques du deuil, de la solitude, du suicide. Berthollet symbolisait la figure vigoureuse et virile de son village, il est désormais celui qui a vacillé, celui qui a cédé devant la douleur du deuil.