par Camille Logoz
Vernissage / de Václav Havel / mise en scène Matthias Urban / du 26 février au 7 mars 2015 / Grange de Dorigny / en tournée jusqu’au 28 mars 2015
Véra et Michael convient leur meilleur ami au vernissage de leur nouvelle décoration d’intérieur ; ce vernissage, c’est aussi celui de la nouvelle vie que les amis de Ferdinand souhaitent lui imposer, ou celui qu’ils apposent à leur vie de couple et qui se craquèle au fil du spectacle… Car la soirée tourne mal.
L’intrigue s’intègre bien dans le thème choisi par le metteur en scène Matthias Urban pour sa résidence de trois ans au Théâtre de la Grange de Dorigny : surveillance et contrôle de l’individu. La pièce, écrite en 1975 par Václav Havel, qui fut résistant au régime communiste en Tchécoslovaquie avant de devenir président de la République Tchèque, transpose le thème d’une société totalitariste dans le cadre beaucoup plus intime d’une soirée entre amis. Bien que le texte soit directement lié à la vie et aux combats de son auteur, Urban n’en propose pas une lecture politique. On assiste toujours à une tentative d’unification et d’enrôlement dans une pensée unique, mais le travail d’actualisation effectué centre la problématique autour de l’individu et de la société capitaliste contemporaine. Le couple bobo fier de sa nouvelle déco qui sous couvert de liberté des mœurs (Véra et Michael aiment vanter l’ouverture de leur sexualité) cache en réalité un conservatisme extrême (la femme appartient à son mari) fonctionne et provoque un sentiment de déjà-vu, faisant apparaître quelques sourires narquois dans le public.
La scénographie rappelle un magazine d’architecture d’intérieur actuel : nette dominance du blanc, chaîne hi-fi à la fois high-tech et vintage, peaux d’animaux apportant un côté rustique à cette décoration moderne… La scène est délimitée par un arc de cercle. Le jeu de lumière et la performance des acteurs, selon qu’ils tournent énervés comme des lions en cage ou circulent de part et d’autre de la structure, transforment à volonté ce seuil en cage.
D’entrée, nous adoptons le point de vue de Ferdinand : nous avons le même regard involontaire et accidentel sur les exercices de yoga du couple et sur Véra qui se change en arrière-plan, sans même faire mine de se cacher. Dans ces scènes d’exhibitionnisme, le regard de Ferdinand fuit vers le public qu’il semble inviter à partager son incrédulité face à l’absurdité des leçons de vie administrées par ses amis.
On rit beaucoup face à ces bourgeois-bohèmes qui se délectent de leurs nouvelles acquisitions décoratives (prétexte de la visite), artistiques (les disques de Suisse), alimentaires (les clams et le chutney), voire même… humaines (leur exceptionnelle progéniture). L’interprétation des comédiens souligne le faste ridicule de ce mode de vie. L’intention comique est claire, et son côté très marqué pour les personnages de Véra et de Michael est peut-être ce qui empêche que le spectateur ne s’identifie autant à eux qu’à Ferdinand et qu’il ne se sente pas concerné par la menace que représentent ces systèmes d’inclusion et d’exclusion sociales. Il n’y a pas d’ironie, pas d’ambivalence, pas d’inconfort, pas de malaise. Le spectateur reste donc spectateur et cette distance fait que sa seule implication émotionnelle au drame est une frustration crescendo face à l’égoïsme du couple et à la passivité de Ferdinand. Cette progression linéaire mène pourtant à une issue inattendue : on comprend enfin l’acharnement de Véra et Michael à prouver la pertinence de leur mode de vie et l’harmonie qu’ils pensent incarner. Une fois le rideau tombé, on reste pourtant dans le doute. Rien ne nous dit si la résistance passive de Ferdinand débouchera sur une rébellion plus ferme ou s’il se fera engloutir par la bienveillance excessive de ses amis…