Gulliver / d’après Voyage à Lilliput de Jonathan Swift / mise en scène Karim bel Kacem et Adrien Kuenzy / du 18 au 29 mars 2015 / Le Petit Théâtre (Lausanne) / plus d’infos
« À mi-chemin entre théâtre et cinéma » annonce le programme du Petit Théâtre. S’agirait-il d’un énième spectacle aux multiples effets de projection ? Non. Ici c’est la mise en scène elle-même qui relève d’effets de montage, soutenus notamment par une création sonore parfaitement maîtrisée.
Pour le deuxième volet de leur trilogie « pièces de chambre », le metteur en scène Karim bel Kacem et le réalisateur Adrien Kuenzy ont choisi d’adapter Voyage à Lilliput (1721), première partie du roman de Jonathan Swift. Ce sont donc en majorité des enfants qui ont pris place derrière les quatre murs de cette boîte aux petites fenêtres sans tain. Munis d’écouteurs, nous épions le retour au foyer du Dr. Gulliver après neuf mois d’aventures. Captivés, sa femme et ses amis se montrent toutefois sceptiques face à son récit et doutent que son originale veste (« un cadeau de l’Impératrice de Lilliput ! ») ait réellement été cousue par 600 petits hommes avec leurs couvertures. Alors qu’il raconte comment il a coulé d’une seule main des bateaux de la flotte ennemie (les lilliputiens sont en guerre contre leurs voisins pour une sombre histoire d’interprétation de texte sacré sur le sens dans lequel il convient d’ouvrir un œuf à la coque), sa femme lui demande s’il préfère être un plaisantin ou un assassin. L’organisation sociale des lilliputiens questionne la nôtre. Les amis s’essayent d’ailleurs avec joie dans leur salon au « jeu de la corde » qui permet aux lilliputiens de choisir leurs représentants.
Soudainement, parfois, le noir se fait et les murs tremblent : par un système de poulies, le plafond descend et révèle Lilliput. Flash-back. Gulliver est ligoté au sol par les lilliputiens (représentés par de petites figurines), qui parlent un langage qui nous est incompréhensible. Chaque spectateur ayant un point de vue unique, la « profondeur de champ » est différente pour tous et l’action peut selon les cas se dérouler juste devant notre nez ou dans un quasi hors-champ dans l’autre coin de la boîte. Le dispositif implique ainsi une mise à distance, fascinante, mais desservant aussi parfois la dynamique de la pièce, notamment lors des passages à Lilliput. Le montage sonore, jouant lui aussi sur les échelles (Gulliver parle « beaucoup trop fort » pour les lilliputiens), permet néanmoins toujours de rester immergé dans cet étrange voyage.
Vivement le troisième volet. Il parait que ce sera du Shakespeare…