par Cecilia Galindo
Vernissage / de Václav Havel / mise en scène Matthias Urban / du 26 février au 7 mars 2015 / Grange de Dorigny / en tournée jusqu’au 28 mars 2015
Un couple de proches vous invite dans leur appartement pour passer une soirée entre amis. Rien de plus normal. Excepté lorsque le couple en question se mêle de votre vie privée et exhibe la sienne au point d’instaurer un malaise étouffant. Avec Vernissage de Václav Havel, Matthias Urban propose un spectacle plaisant et imagé qui se moque des faux-semblants et dénonce les diktats sociaux.
Lorsqu’il s’installe dans la Grange, le public entre déjà dans l’intimité (pas si intime) de Véra et Michael. Deux comédiens foulent le plateau recouvert de lino blanc, attendent, prennent la pose, et s’animent lorsque de la musique électronique envahit la salle. En rythme, ils se lancent dans une chorégraphie de gestes lents et répétés qui rappellent certaines techniques de yoga ou de tai-chi. L’arrivée d’une troisième personne mettra à fin à leur petit rituel. C’est le personnage de Ferdinand qui arrive, et il ne sait pas ce qui l’attend.
Avec Vernissage, troisième création de Matthias Urban depuis qu’il est en résidence à la Grange de Dorigny (1984 en 2013 et La Plante verte en 2014 pour le Fécule), le metteur en scène explore une fois encore les divers mécanismes de contrôle implantés dans la société d’aujourd’hui. La sphère privée est ici touchée, puisque l’on assiste à une rencontre entre amis qui prend rapidement la forme d’une tentative de corriger l’autre puis de lui imposer et exposer une vision préétablie du bonheur. Toutefois, Véra et Michael disent aimer Ferdinand, et ne vouloir que son bien. Une situation aussi sweet and sour que les clams au Chutney servis par l’hôtesse de la soirée.
On croirait le texte composé hier, et pourtant Vernissage a été écrit en 1975 dans un contexte politique passablement répressif. A partir de cette proximité avec notre actualité, le metteur en scène lausannois et son équipe se sont tout naturellement dirigés vers un univers visuel contemporain. La scénographie, minimaliste et épurée, semble renvoyer à l’esthétique design et branchée des magazines déco, ou à l’allure blanche et froide de certaines galeries d’art moderne. Mais la disposition scénique renferme aussi un aspect plus symbolique: dans cet espace en arc de cercle, délimité par des barrières blanches constituées de tiges élastiques permettant une traversée sans difficulté, les personnages interagissent dans une sorte d’arène qui, au fil du spectacle, devient une cage oppressante. Mais lequel de nos protagonistes est pris au piège ? Si Ferdinand est à plusieurs reprises victime des coups de griffes de ses amis, on se rend compte assez rapidement que, malgré leur vernis de perfection, Véra et Michael sont les fauves mis en cage.
Entre situations comiques et malaise communicatif, séquences musicales et moments de silence pesants, cette version de la pièce parvient à inclure le public tout en créant une distance lui permettant une approche critique. On en rit, on s’identifie et on prend plaisir à observer les fêlures toujours plus nettes de ces pantins de chair.
À découvrir à la Grange de Dorigny jusqu’au 7 mars ou en tournée. Une invitation qu’on ne peut refuser: vos amis comptent sur vous.