par Jonas Guyot
Le jour où j’ai tué un chat / de Laetitia Barras / du 10 au 22 mars 2015 / Théâtre 2.21 / plus d’infos
Après Peanuts, la compagnie Überrunter revient avec un nouveau spectacle qui s’intéresse au conflit qui peut naître entre l’épanouissement de la vie personnelle et la part toujours plus grandissante de la vie professionnelle. Avec humour et poésie, les quatre protagonistes de cette fable des Temps modernes confessent leurs petits plaisirs, leurs frustrations et leurs désirs sous une forme chorégraphique et parfois hypnotique.
Quelques piles de journaux, un tabouret et deux tables forment un décor plutôt sobre dans lequel quatre personnages livrent à un rythme effréné petits plaisirs, angoisses, dégoûts et confessions de tout ordre. Nous assistons à une variante du questionnaire de Proust dont on aurait supprimé les questions pour ne laisser place qu’à des réponses du type : « je n’ai pas le permis de conduire du coup je préfère, de manière générale, être passager. » Si cette succession de petites anecdotes quotidiennes pourrait devenir très vite lassante, la compagnie Überrunter parvient à créer des enchaînement drôles et poétiques. Le spectacle s’éloigne d’une démarche égocentrique qui consisterait à dévoiler ses petits problèmes et ses grandes aspirations. Le texte est, au contraire, composé de phrases suffisamment diversifiées pour que chacun trouve chaussure à son pied. Dans un souci d’échange, la compagnie invite d’ailleurs le spectateur à inscrire, dans un petit cahier, la phrase du spectacle qu’il a préférée, et à en ajouter une autre issue de sa propre réflexion afin de la faire partager.
Le spectacle s’enrichit également d’une réflexion sur l’aliénation de l’être par le travail. En effet, cette succession de confessions, d’interrogations et de réflexions sur la vie et le quotidien s’inscrit dans une chorégraphie très précise. Le spectacle est divisé en quatre journées que nous identifions par les diverses activités de ces quatre personnages. Chaque journée de travail est précédée de la lecture assez brève du journal : météo, horoscope, gros titres. Puis dans une chorégraphie millimétrée, à la manière des Temps modernes de Charlie Chaplin, les protagonistes débutent un travail d’usine répétitif et dont la finalité demeure absurde. Un homme transmet à une femme une feuille de journal qui est ensuite tamponnée, puis déchirée, avant d’être collée avec du ruban adessif pour finalement revenir auprès de l’homme qui les empile. Tout au long de ce travail mécanique et harassant, les phrases fusent comme si la parole était le seul moyen de ne pas disparaître derrière la tâche aliénante du travail.
Les questions, les choix et les goûts que partagent ces quatre personnages sont pour eux une manière d’exister. Au fur et à mesure que les jours avancent, les pauses deviennent de moins en moins fréquentes et le travail de plus en plus désordonné. Le rythme s’essouffle et la colère monte dans la voix des personnages. La parole libérée et qui semble ne plus vouloir s’arrêter apparaît comme le grain de sable qui s’est glissé dans la machine et en menace le bon fonctionnement. Dans une société où le travail « grignote » de plus en plus notre vie personnelle, Le jour où j’ai tué un chat s’arrête sur cette relation conflictuelle en s’interrogeant sur ce qui fonde notre identité. L’un des personnages se questionne d’ailleurs dans une longue tirade sur ce qui aurait pu arriver s’il avait été un autre.
Dans une forme relativement courte (55 minutes), la compagnie Überrunter parvient à susciter la curiosité et l’intérêt, malgré un spectacle à la forme volontairement répétitive. Nous tenons également à relever le professionnalisme incroyable de ces quatre interprètes qui, même avec un public particulièrement turbulent le soir de la première, ne se sont pas laissés déstabiliser.