par Camille Logoz
Le jour où j’ai tué un chat / de Laetitia Barras / du 10 au 22 mars 2015 / Théâtre 2.21 / plus d’infos
La Cie Überrunter présente du 11 au 22 mars 2015 au Théâtre 2.21 de Lausanne un drôle de concert. Si le spectacle se veut un hymne aux petits plaisirs qui forment notre quotidien, le cadre dystopique où naît la parole des personnages empêche pourtant de s’abandonner complètement à ce flux d’optimisme.
Sur scène, trois femmes et un homme. Ils racontent, à tour de rôle, ce qu’ils aiment, ce qu’ils n’aiment pas, leurs habitudes, leurs craintes, leurs expériences, leurs résolutions… C’est ainsi, par ces listes et ces énumérations, qu’ils tentent de donner une définition d’eux-mêmes. Leurs monologues prennent vite la forme d’une chorale – ou plutôt d’un canon : chacun prend la parole individuellement, mais les voix s’entremêlent et forment une seule mélodie, soutenue par le rythme de leurs gestes. Alors que les personnages se mettent à effectuer un travail à la chaîne, on identifie enfin la couleur de leurs vêtements, comme celle d’un bleu de travail. Le contexte dans lequel leurs monologues prennent racine est en fait celui d’une usine.
Allant à l’encontre de cette régularité et de l’aspect cyclique du spectacle (représentant quatre journées de travail, entrecoupées par le chant du coq et la sonnerie de la pause), la prosodie évolue et varie. Il arrive que les personnages prennent de la distance, peinent à se faire entendre, gonflent leurs voix, explosent : ces crises passagères sont soit isolées – et le train-train ne tarde pas à reprendre sa place, soit générales, comme celle qui permettra d’enchaîner avec la dernière scène. Sur un air des Quatre Saisons de Vivaldi qui ne laisse pas trop de doute quand à l’intention optimiste de ce final, les personnages clament soudainement leur enthousiasme pour la vie et clôturent la représentation par une dernière liste, celle de leurs petits bonheurs.
En fin de compte, le spectacle laisse un goût mi-salé, mi-sucré. L’annonce était pourtant claire : le thème était d’« évoquer le quotidien de manière inhabituelle pour lui redonner sa part d’extraordinaire », d’« observer les richesses oubliées du train-train de tout un chacun ». Dans cette optique, l’intitulé du spectacle surprend déjà : tuer un chat, un événement usuel et routinier ? Le spectateur est partagé entre son envie de poursuivre la liste que la compagnie laisse ouverte (elle propose d’ailleurs au public de l’allonger avec ses propres phrases à inscrire dans le livre d’or à l’issue du spectacle), et celle d’échapper à ce mécanisme trop rôdé. On est entraîné par la chorégraphie endiablée des ouvriers et par l’enchaînement entêtant des répliques si bien que malgré le finale enjoué, on reste pris dans l’engrenage de l’usine d’où s’élève la parole des personnages. N’a-t-on pas voulu nous présenter, en fait de plaidoyer optimiste, une manière de fabriquer des pensées positives ? Lorsque la lumière se rallume, on n’a pas tant envie rentrer chez soi et de retrouver ses petites habitudes que de changer celles-ci radicalement. Quoique l’on puisse se montrer réticent face à l’automatisme des enchaînements, on appréciera tout de même l’énergie qui se dégage des quatre individus. À chacun de décider d’y voir un élan de résistance ou des forcenés qui se débattent avec leurs chaînes.