Par Amandine Rosset
La Voix du peuple / par la Cie Les Débiteurs / mise en scène Jérôme Junod / du 27 au 31 janvier 2015 / La Grange de Dorigny / plus d’infos
Le projet de Jérôme Junod est simple : laisser la scène au peuple vaudois en sélectionnant des textes dans dix ans d’archives du courrier des lecteurs du quotidien 24heures. La pièce est constituée par les avis, les remerciements ou les coups de gueule de la population sur différentes actualités. Entre gravité et humour, le public pourra reconnaître les codes, le langage et les tournures propres à la Suisse romande.
Jérôme Junod propose à la Grange de Dorigny un projet très local. Il s’agit de l’adaptation sur scène des extraits d’archives du courrier des lecteurs du journal 24heures. Ces textes prennent vie grâce à quatre comédiens. Le décor contextualise les lettres par thèmes dans des lieux précis comme une terrasse de café ou des rangées de supermarché. Le service militaire, les impôts, les chiens dangereux, la Migros et ses prix, l’exhibitionnisme dans les vestiaires féminins à la piscine de Mon-Repos, la religion, la propreté des rues, l’équipe nationale de football ou encore l’immigration sont autant de sujets qui sont abordés par des anonymes et repris sur scène.
Certains commentaires ou interrogations des auteurs de ces lettres font tout d’abord rire, parfois par leur absurdité ; pourtant, ils soulèvent de nombreuses questions. Qui sont ces auteurs ? Pourquoi ressentent-ils le besoin de donner leur avis dans cet espace public ? Que veulent-ils vraiment dire ? Qui visent-ils ? Le titre de la pièce pousse aussi à s’interroger sur la signification du « peuple » : qu’est-ce qui réunit tant de gens aussi différents les uns des autres, avec des avis et des convictions aussi divergents ? Si le public peut se reconnaître dans ces paroles écrites par des inconnus qui partagent pourtant d’une certaine façon son quotidien, il peut parfois aussi être scandalisé d’entendre certaines remarques : la définition du mot « peuple » est beaucoup plus compliquée qu’elle ne le laisse paraître.
Avec cette pièce, Jérôme Junod relance le débat très actuel sur liberté d’expression. Peut-on vraiment tout dire ou tout écrire dans les journaux en profitant de la liberté qu’offrent des pages comme le courrier des lecteurs ? Comment, sur un autre plan, comprendre ces envies de publier son opinion ? Ces questions pourraient d’ailleurs se poser aussi pour des outils d’expression plus modernes, comme Twitter, où les gens peuvent donner leur avis et débattre les uns avec les autres. A noter justement qu’une discussion animée par des étudiants de l’Atelier Critique est proposée après la représentation du jeudi 29 janvier : un bon endroit pour partager votre opinion et la confronter à celles des autres ! Dans tous les cas, cette pièce vous donnera envie de faire plus attention à cette page du 24heures que nous tournons parfois trop rapidement sans nous questionner sur les véritables messages qu’elle contient.