Par Nicolas Joray
Encore / de Eugénie Rebetez / du 28 novembre au 6 décembre 2014 / La Grange de Dorigny
Dans son spectacle solo, Eugénie Rebetez explore et met en scène de manière ironique, burlesque et touchante son rapport à sa pratique artistique. Encore déborde les frontières de la danse pour mieux y revenir.
Après des études de danse en Belgique et en Hollande, Eugénie Rebetez revient en Suisse en 2008. Après diverses collaborations avec les artistes Zimmermann et de Perrot, elle crée en 2010 Gina, son premier one woman show. De Zurich à Paris, en passant par son Jura natal, le succès est au rendez-vous.
Tapis rouge, veston à paillettes, musique de Vivaldi, sac à main haute couture, envolée lyrique sur My Heart Will Go On de Céline Dion, lumières colorées sur des rideaux de théâtre mobiles, utilisation appuyée de l’anglais : une isotopie de la gloire se déploie sur la scène. Dans Encore, la danseuse pose un regard rétrospectif sur sa réussite (celle de son premier spectacle notamment) et aborde, de manière plus large, le thème du succès dans les mondes de l’art. Mais la réinterprétation du titre de la chanteuse canadienne ne se montre ni tout à fait convaincue ni convaincante, l’anglais minaudé tranche de façon plaisante avec l’accent jurassien d’Eugénie Rebetez lorsqu’elle s’exprime en français, et entre les numéros de danse brillamment exécutés surgissent les « OK, on y va ! » d’un personnage un peu cruche ou quelques « vous me suivez jusque là ? » hésitants. L’ironie fonctionne assurément comme l’un des moteurs centraux de ce spectacle. Là où le strass et le clinquant sont présents, le doute et la fragilité ne sont jamais loin. En soulevant le tapis rouge, la chorégraphe exhibe avec brio la poussière dissimulée dessous. Habituellement cachés dans l’univers du spectacle, voire refoulés, la peur et l’échec deviennent ses matériaux de jeu.
C’est en effet d’un jeu qu’il s’agit dans Encore. Entre l’artiste qui brille et celle qui trébuche, mais également entre la danseuse et le public. Grâce aux nombreux ressorts du one (wo)man show, une relation de complicité avec les spectateurs est instaurée : Eugénie Rebetez offre une poignée de main à quelques élus du premier rang, déclenche le rire en adressant directement au public certains gags « faciles » (comparant par exemple son pied de micro à une œuvre de Giacometti ou faisant de son corps un Iphone grotesque qu’elle frotte et dit « tactile »), demande à quelques personnes de participer à sa prestation leur donnant la mission de projeter contre elle un ballon de gymnastique. Le traditionnel numéro de chapeau y passe également, dans lequel son personnage, en se débattant avec le couvre-chef trop grand qui lui tombe sur les épaules, revêt des apparences de héros de dessin animé. Avec Encore, l’ironie se double de comique.
Mais Eugénie Rebetez n’en reste pas là. Il arrive qu’une incursion dans le registre de l’intime soit donnée à voir sur le plateau. Alors les rires deviennent silence, le personnage s’assied sur une chaise, muni d’un petit piano électronique (presque un jouet). Quelques accords simples, et cette voix fragile qui émerge et fredonne : « Je suis la fille qui parle avec mon corps, mais j’aime aussi ouvrir ma gueule ». Un seul projecteur douche la chanteuse fragile, parant cette scène des allures de la confidence. En quelques paroles, elle évoque, de manière très personnelle semble-t-il, son rapport à la danse, au spectacle, au public. De manière émouvante cette fois, le tapis rouge est à nouveau soulevé.
Ce corps et cette voix qui chantent, affirment, dansent, doutent, rient, questionnent et crient sont à découvrir jusqu’au 6 décembre entre les murs de la Grange de Dorigny.