Par Jonas Guyot
Daisy / de Rodrigo García / du 11 au 15 novembre 2014 / Théâtre Saint-Gervais / plus d’infos
Dans une langue incroyablement percutante et dérangeante, la dernière création de Rodrigo García poursuit la réflexion du metteur en scène sur les inepties de notre société. Un spectacle poético-ironique dans lequel Leibniz côtoie des cafards et où les hommes dansent avec les chiens.
Sur la scène, un capharnaüm d’objets et d’animaux. Plusieurs caisses de batterie sont disposées çà et là, révélant un nid de cafards dont la masse grouillante est projetée sur un grand écran, des monticules de salade et de tomates destinées à nourrir les insectes, une tortue qui évolue dans une eau verdâtre ou encore un agglomérat d’escargots. À ce bestiaire s’ajoutent deux petits chiens qui se voient entraînés dans une danse menée par les deux comédiens du spectacle Gonzalo Cunill et Juan Loriente. Parmi ce décor animalier et hétéroclite se dresse une bibliothèque remplie de livres, rappelant discrètement que l’homme se distingue de l’animal par sa capacité à penser et parler.
Le propos n’est cependant pas celui d’une supériorité de l’homme sur l’animal. Au contraire, Rodrigo García ne ménage pas l’humanité en dénonçant, non sans humour, l’absurdité de notre quotidien. En fustigeant les nombreuses inepties de notre société comme « l’art de banaliser une maison », il s’attaque surtout à l’appauvrissement de la langue et de la poésie. Ces dernières sont notamment matérialisées sur scène par la grande bibliothèque ou encore l’apparition de Leibniz annoncée en grande pompe par un feu d’artifice. Ce spectacle est une fête, une fête des mots qui ne cesse de dire, de redire, de reformuler pour échapper au conformisme et à la simplification du langage. De cette réflexion naissent de savoureux moments langagiers, comme lorsqu’un personnage raconte avoir longuement pesé les termes d’un message envoyé de son téléphone portable, auquel son interlocuteur s’est contenté de répondre par « un triste et pitoyable 🙂 ». Daisy est une succession d’anecdotes, de petites histoires, de listes de mots qui donnent lieu à un flux continu de paroles jusqu’à en épuiser la langue.
Toute la réflexion de Rodrigo García sur l’appauvrissement de la langue et l’absurdité de notre quotidien ne fait cependant pas de cette pièce un spectacle élitiste et méprisant vis-à-vis de la culture « populaire ». L’art pictural côtoie les films d’horreur : le Christ en croix du peintre Hans Memling danse aux côtés du personnage de tueur en série Freddy Krueger sur une musique disco entraînante. La poésie du metteur en scène naît justement de cette rencontre impromptue entre les mondes, brisant par la même occasion le conformisme dans lequel nous sommes quotidiennement plongés.
Afin d’échapper quelques instants à l’absurdité de notre vie ordinaire, il est donc urgent de se plonger dans l’univers fantasmagorique de Rodrigo García. Sa pièce est à découvrir jusqu’au 15 novembre au Théâtre Saint-Gervais.