Par Nicolas Joray
Hallo / de Martin Zimmermann / du 4 au 22 novembre 2014 / Théâtre de Vidy / plus d’infos
Après une carrière de près de vingt ans faite de nombreuses collaborations (notamment avec le metteur en scène Dimitri de Perrot), Martin Zimmermann concocte pour la première fois un solo où le mime se mêle à la poésie, où un zeste d’acrobatie vient relever la scénographie.
Avant son entrée au Centre National des Arts du Cirque en France, l’artiste suisse-allemand a suivi une formation de décorateur. En assistant à Hallo, on comprend à quel point ce parcours a influencé son rapport aux aspects matériels de la scène. Sous nos yeux se déroule une véritable danse avec le décor. Il n’y a pas d’histoire, au sens classique, à se mettre sous la dent. Presque pas de paroles, pas de personnage cohérent. Ce que l’on voit, ce sont plutôt des scènes où ce rapport à l’espace est exploré : tantôt conflictuel, comme cette première scène où Martin Zimmermann tente désespérément de transformer en maison habitable un cube de bois dépliable dans lequel il s’était réfugié ; tantôt harmonieux, lorsque l’acteur (faut-il dire l’acrobate ?) marche avec aisance sur un cadre fait de planches qui se dressent et s’affaissent, selon une mécanique scénographique bien huilée. Les sentiments des personnages incarnés par l’ancien décorateur semblent se situer entre deux pôles : le désarroi éprouvé lorsque l’on peine à monter un meuble IKEA ou la facilité ressentie à l’assemblage d’un jouet « Kinder Surprise ». L’artiste dit avoir voulu donner à voir des situations tragi-comiques. Au fil des scènes, les différents personnages que l’acteur interprète démontent maladroitement le décor, révélant des espaces différents. Ou alors ils dansent sur une musique oppressante, créant une atmosphère légèrement angoissante. Confrontant son corps aux objets et donnant ainsi naissance à une poésie qui lui est propre, Martin Zimmermann crée une palette d’ambiances variées. Le but est atteint.
Avec l’aide de sa dramaturge Sabine Geistlich, il lui tenait aussi à cœur d’explorer la notion d’identité. La vitrine de magasin, plus ou moins reconstituée sur scène, est le tremplin qui lui permet d’explorer cette notion : lieu de monstration de vêtements (indéniablement liés à l’identité visuelle), la vitrine est aussi le lieu du reflet de soi. L’utilisation de miroirs et les nombreux changements de costumes font écho à ces réflexions. Martin Zimmermann joue-t-il à être lui-même sur scène ? Il répondra qu’il y a « de multiples façons d’être soi ». Ici, c’est l’univers du cirque, et plus encore celui du mime, qui transparaissent et viennent éclairer la notion d’identité. Car ces univers, outre le fait qu’ils constituent un vivier inépuisable de gags en tout genre (les portes qu’on ouvre, le doigt qu’on avale), sont également un réservoir de techniques qui permettent de se glisser dans la peau de divers personnages en forçant les traits, comme savent si bien le faire les clowns. D’un animal recroquevillé avec de grands yeux attendrissants au marin grognon aux manières de dictateur en passant par des personnages plus neutres, l’acteur démontre que son registre de personnages est au moins aussi riche que ses manières d’apprivoiser l’espace. Lui est un autre. Plusieurs autres.
Le cirque n’est pas loin non plus lorsque le danger apparaît. Rien de comparable bien sûr avec la haute voltige d’un trapéziste. Mais quand l’artiste du mouvement se mue en chauve-souris et se retrouve la tête en bas en s’accrochant à sa structure en bois, on se dit que le risque qu’il tombe est bien là. Comme pour le jongleur exécutant des figures complexes, la réussite d’une manipulation d’objets parfois délicate n’est jamais garantie. En sont témoins la chute involontaire d’un panneau à l’arrière scène, ou celle d’un buste de mannequin mal fixé sur ses jambes. Mais comme le cirque n’est pas loin, on pardonne : il s’agit de numéros ; une issue heureuse nécessite une bonne dose de concentration, et n’est jamais totalement garantie. Cela fait partie du jeu. L’envie d’applaudir à la fin de tours de prestidigitation est aussi la preuve que quelque chose qui rappelle l’intérieur d’un chapiteau se trame dans ce spectacle solo. Encore une fois, le passé de circassien de Martin Zimmermann, ses collaborations avec des artistes de ce milieu, y sont certainement pour quelque chose. Ses tours de piste poétiques sont à déguster sans modération jusqu’au 22 novembre à Lausanne.