Ils sont parmi nous

Par Sabrina Roh

Un Jour / création de Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre / Théâtre de Vidy / du 1er au 12 octobre 2014 / plus d’infos

(c)Numero23prod
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Qui sont ces individus qui arpentent l’espace scénique ? Qu’est-ce qui les relie entre eux ? Sont-ils vivants ou morts ? Les bribes de phrases qu’ils profèrent ont-elles un sens ?

Ces questionnements surgissent chez le spectateur pendant et après la représentation d’Un jour, le dernier projet de Massimo Furlan et de sa dramaturge, Claire de Ribaupierre. Chez Massimo Furlan, le visuel est central. D’abord formé en arts plastiques, il passe ensuite par la scénographie avant d’entrer dans le monde de la performance. C’est en 2002 qu’il marque le public en rejouant, seul et sans ballon, la finale de la Coupe du monde 82, qui a vu s’affronter l’Italie et l’Allemagne. Quant à Claire de Ribaupierre, docteure ès lettres et chercheuse dans les domaines de l’anthropologie, de l’image et de la littérature contemporaines, sa spécialité à elle, c’est les idées. De leur collaboration naissent des performances qui mettent en scène des pensées. Un jour exploite non seulement la notion de mort, mais aussi celle de la mort vivante : qui sont ces esprits qui nous hantent ? Sont-ils morts ou vivants ? Quelle est la frontière entre la vie et la mort ?

Cherchez la fable dans le tableau

Il y a deux façons d’appréhender Un jour. Inspiré par les deux comédiens qui dialoguent de façon quasi-philosophique au début du spectacle, le spectateur peut chercher à déceler une histoire. De fait, parmi les six comédiens qui s’emparent de l’espace scénique après la séquence de dialogue, l’une paraît plus âgée que les autres. Elle tombe subitement par terre. Quelques soubresauts encore et elle semble morte. A ses côtés, un jeune couple éploré représenterait le deuil et le recueillement tandis que deux autres hommes incarneraient la folie que peut engendrer la douleur provoquée par la perte d’un être cher. La trame semble être toute trouvée. Mais la morte se relève et d’autres tombent. Un jour semble donc résister à une lecture purement narrative.

Le spectateur peut alors prendre le parti de considérer la pièce comme un tableau en mouvement. Dans ses performances, Massimo Furlan représente des événements qui ont marqué son enfance et celle de bien d’autres, comme l’édition 1973 de l’Eurovision, ou encore des sujets sur lesquels l’humanité entière s’interroge, comme la mort et ce qui nous attend après elle. Dans Un jour, il fait de la mort un processus et s’amuse à représenter l’espace inconnu occupé par les esprits. Le tout prend un aspect à la fois terrifiant et poétique. L’horreur que peut inspirer la mort est transmise avec brio par les comédiens, qui font de leur corps un simple assemblage de chairs possédées. Les spasmes qu’ils miment traduisent tant la souffrance du mourant que celle de l’endeuillé. En revanche, les développements plus poétiques tombent dans des représentations plus clichées : si l’image du gentil fantôme enveloppé dans un drap blanc apporte une douceur agréable à la mise en scène, les diverses représentations de la montée aux cieux sont des éléments vus et revus. Si cette représentation de la mort n’est pas très originale, elle a cependant le mérite de traduire assez justement les sentiments ambivalents que provoque ce thème chez l’être humain : la peur du néant et l’espoir d’un ailleurs.

S’accrocher au matériel

Le dispositif imaginé par Massimo Furlan aurait suffi à transmettre son idée d’un possible espace entre la vie et la mort. Tout comme dans les pièces de Samuel Beckett, des objets du quotidien sont mobilisés. Dans Un jour, les chaises illustrent la frontière poreuse entre la vie et la mort. Accrochées au plafond, elles effleurent le sol et les comédiens en jouent. Tantôt ils s’y assoient, tantôt ils les laissent s’envoler. Ce flottement entre ciel et terre représente les vivants condamnés à mourir et les morts encore vivants.

Ainsi, le tableau dressé par Massimo Furlan est très esthétique. Cependant, le spectateur aurait peut-être préféré être sourd. Du début à la fin, la voix nasillarde de l’un des narrateurs, les cris des personnages et la musique oppressante poussent les nerfs à bout. Deux questions se posent alors : qu’attendons-nous et que devons-nous attendre d’une représentation théâtrale ? Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre n’avaient certainement pas pour but de proposer un moment agréable au public. La tension et le trouble ressentis à l’issue de la représentation sont tout simplement à la hauteur des thèmes abordés.

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