Par Nicolas Joray
La Prison / d’après Michel Foucault / mise en scène Collectif F71 / du 23 au 25 octobre 2014 / Théâtre de la Grange de Dorigny / plus d’infos
Perchée sur un bureau, une comédienne en équilibre sur ses bras récite un discours aux vapeurs foucaldiennes. Donner corps aux acrobaties intellectuelles du célèbre théoricien de la prison : le Collectif F71 se risque à cet exercice périlleux sans faux-pas.
Avec ses accents pédagogiques, La Prison est typiquement le genre de spectacle qui aurait pu sombrer dans le piège du barbant. Seulement voilà, ici ce n’est pas le cas. Pousser à la réflexion sans apporter de réponses arrêtées, c’est le parti pris des cinq actrices (Sabrina Baldassarra, Stéphanie Farison, Emmanuelle Lafon, Sara Louis et Lucie Nicolas) qui ont également mis la main à la pâte sur le plan de la conception artistique, de la mise en scène et de la scénographie. Oui, leur projet est pédagogique au sens où il permet d’accéder de manière relativement aisée aux pensées et écrits du philosophe. L’utilisation du rétroprojecteur n’est pas sans rappeler le cadre de l’école. Mais le collectif est parvenu à contourner les désagréments de la pratique scolaire. Non, on ne ressort pas de La Grange de Dorigny en emportant une liste de concepts à retenir, ou même une thèse à résumer. Au fil des tableaux germent des réflexions amenées de façon ludique. Une voix : « Que se passe-t-il à l’arrivée en prison ? ». Des personnages : vêtus de nobles manteaux, ils se font l’écho de paroles qui esquissent une histoire des châtiments. Des objets : les lumières deviennent projecteurs à usage militaire. Après « Surveiller et punir », voici « Questionner et divertir ».
Pénétrer dans un théâtre en remarquant que la place attribuée au spectateur se trouve sur la scène confère toujours à notre cerveau un supplément d’adrénaline. Les spectateurs sont répartis en deux gradins sommaires (des chaises de hauteurs différentes) qui se font face. Les comédiennes investissent tant l’espace qui sépare ces deux fronts que les contours du plateau, délimités par des toiles blanches. Des voix jaillissent de partout. Des scènes qui se jouent derrière certains des spectateurs ne sont aisément visibles que pour ceux qui leur font face. Puis la logique s’inverse pour d’autres scènes. On l’aura compris, scénographiquement aussi, tout est fait pour nous plonger dans des réflexions sur l’espace carcéral. Seul petit bémol : si les spectateurs sont largement impliqués sur ce plan de la réflexion, ils le sont moins sur le plan émotionnel. Le théâtre n’est-il pourtant pas le genre qui, par excellence, permettrait de découvrir l’univers de Foucault sous l’angle de ses effets comiques, angoissants, tristes ? Et ce, d’autant que les actrices du collectif F71 savent parfaitement, lors de certaines scènes, investir les couleurs de l’arc-en-ciel des émotions : on rit, par exemple, des apparitions de Michel Foucault dans le corps des comédiennes. L’apprivoisement, par des femmes à l’apparence soignée, des mimiques et de la façon de parler du penseur crée nécessairement une image cocasse. Une autre fois, une actrice demande au public de fermer les yeux pour lui réserver une surprise : la découverte de l’intérieur d’un carton. Peur amusante, car on ne sait pas ce qui va surgir de la boîte, et à quelle distance du visage. On aurait aimé vivre davantage de ces moments.
La Prison est le deuxième des trois épisodes d’une trilogie consacrée aux travaux d’un des intellectuels français les plus importants du vingtième siècle. Foucault 71, présenté il y a quelques mois à La Grange de Dorigny, et Qui suis-je… sont les deux autres volets de l’univers stimulant du Collectif F71. Avec un brin d’audace, on peut tenter l’hypothèse que Michel Foucault aurait trouvé dans ce type de travail artistique un moyen pertinent de faciliter l’accès à sa pensée. Et qui sait, peut-être aurait-il lui aussi décidé de brûler les planches ?