Des palmiers sauvages, puis un peu moins

Par Nicolas Joray

D’après Les Palmiers sauvages (ou Si je t’oublie Jérusalem) de William Faulkner / mise en scène Séverine Chavrier / du 25 septembre au 12 octobre 2014 / Théâtre Vidy Lausanne / plus d’infos

Copyright : Samuel Rubio

Une polyphonie visuelle et sonore, c’est le choix que fait Séverine Chavrier pour parler d’un amour prison. Pari réussi quand cette multiplicité tranche avec l’amour indivisible et puissant des deux protagonistes. Mais paradoxalement, c’est lorsque leurs sentiments se fragmentent que cette mise en scène perd de sa force.

Quatre matelas sur le sol, allongement de deux corps presque nus. Les ressorts d’un sommier métallique sont les barreaux qui séparent cette vision du public. Car dans cette adaptation de l’œuvre de Faulkner, amour rime avec enfermement. Les deux nouvelles de l’auteur américain rassemblées sous le titre Les Palmiers sauvages ont servi à la metteure en scène de matériau pour construire les tableaux de ce spectacle, créé sur les bords du lac Léman.

« Combien de fois on fait l’amour dans une vie ? » Un orage de flashs lumineux et de roulements de basses ouvre le spectacle. Charlotte et Harry apparaissent parfois, en sous-vêtements. Puis leurs chuchotements. Les parties de jambes en l’air esquissées plus ou moins franchement par les deux comédiens convaincants (Laurent Papot et Deborah Rouache) investissent l’espace. Beaucoup de meubles (chaises, lattes, lampes) sont refoulés à l’arrière de la scène. Au début, il n’y a de la place que pour les matelas, innombrables supports pour l’amour avec un A majuscule. L’amour sensuel, maladif. L’histoire de ces deux êtres cloîtrés dans leur idéal est racontée par des voix, des bruits, de la musique, des caméras dont les différentes captations sont projetées sur le fond de la salle. Harry et Charlotte s’aiment et ça se voit. De manière tendre ou passionnée, légère ou marrante. Nombreux moyens pour le dire, nombreuses atmosphères pour le faire sentir. Cet amour qu’on croit indestructible se cristallise dans la scène où Charlotte lance à plusieurs reprises, de manière désespérée et touchante, « Combien de fois on fait l’amour dans une vie ? ». Des cloches se font entendre : un enterrement ? Une femme vêtue d’une robe de mariée apparaît à l’écran.

Et puis l’histoire prend une tournure différente. Les questions d’argent et de perspectives d’avenir se posent pour les personnages. Les limites de leur île sont atteintes. Derrière les palmiers, la plage, projetée d’ailleurs à de nombreuses reprises sur le mur du fond. Il faut se confronter à l’eau. Car peut-on vivre un amour éternel enfermé dans une maison à la campagne ? Les failles qui se creusent sont retranscrites physiquement sur le plateau : Charlotte sort de l’espace scénique pour se rendre à une fête ; Harry ouvre le panneau coulissant du fond, découvrant les feuilles d’un arbre aux allures de mosaïque verte. C’est à partir de ce déclin que la proposition de la metteure en scène semble perdre de sa consistance. On se lasse de cette multiplication des bruits et des images qui ne sont plus en tension avec le propos de la scène. Un effritement des moyens pour accompagner un effritement de l’amour : il y a quelque chose de redondant. L’attention se perd. On aurait apprécié de temps à autre une plus grande stabilité scénographique pour se concentrer sur l’instabilité des deux êtres.

Dommage, cet ennui qui s’installe. Car Séverine Chavrier, spécialiste d’un théâtre lié de près à la littérature, semble avoir su explorer les sentiments des personnages avec intelligence. L’univers scénique est également abouti : le mobilier quelque peu vieillot conjugué avec des néons forment un ensemble très esthétique. Les comédiens savent investir plusieurs registres : ils jouent avec le public ou établissent une intimité qui leur est propre. Les lumières sont utilisées pour instaurer des espaces de jeu différents. Le décor prend parfois vie pour donner des résonances particulières à la pièce. Le son est varié, on passe d’une musique agressive à des bruitages plus abstraits. De bons arguments en somme, mais qui finissent noyés dans leur pluralité exacerbée.