Réarrangement floral

Par Deborah Strebel

Une critique du spectacle :
Les fleurs du mal / de Charles Baudelaire, avec des textes de Brigitte Fontaine et Areski Belkacem / mise en scène Françoise Courvoisier / Théâtre du passage à Neuchâtel / du 3 au 15 juin 2014 / plus d’infos

© Bruno Mullenaerts
© Bruno Mullenaerts

Surprenante relecture pastorale des Fleurs du mal de Baudelaire, ce spectacle musical atténue la virulence des célébrissimes poèmes sans pour autant en altérer la beauté.

Un tapis d’herbe verdoyante, sur lequel sont disposés une chaise longue et un arbre sans feuilles, recouvre la scène. Lumineux cadre champêtre, le décor s’oppose aux obscurs faubourgs parisiens baudelairiens. Et pourtant, c’est bien dans cette ambiance légère et bucolique que des célèbres vers issus des Fleurs du Mal vont être déclamés. Trois amis, incarnés par Aurélie Trivillin, Cédric Cerbaa et Robert Bouvier, le directeur du théâtre du Passage, déjeunent ainsi sur l’herbe. C’est sous diverses formes qu’ils s’amusent à écosser les poèmes de l’artiste maudit comme s’ils détachaient les pétales d’une fleur.Parfois susurrés, parfois criés et même parfois chantés, les mots de « Réversibilité », d’ « Elévation » ou encore de « Spleen » prennent ici une toute autre saveur. Véhiculant toujours les mêmes thématiques, à savoir la rencontre de l’horreur dans la volupté ou celle de la beauté avec la laideur, les morceaux choisis perdent leur tonalité sombre et dramatique tandis que les interprètes adoptent une certaine désinvolture. Les pensées torturées du dandy écorché s’adoucissent ainsi par la malicieuse façon de les énoncer. La musique, composée pour l’occasion par Arthur Besson, participe pleinement de ce processus d’attendrissement des virulents vers baudelairiens. Réel « pansement pour la plaie », comme le souligne la metteure en scène, Françoise Courvoisier, elle apporte espièglerie sans pour autant altérer la beauté des vers.

En outre, dans son appropriation des Fleurs du mal, comme pour ajouter de la fantaisie, la metteure en scène, jusqu’à récemment directrice du théâtre Le Poche à Genève, a eu l’étonnante idée de confronter l’univers fantasmagorique et décalé de la chanteuse française Brigitte Fontaine avec celui, torturé, de Charles Baudelaire. Cette réunion anachronique n’est pas sans intérêt. Le spectacle s’ouvre sur la chanson « Entre guillemets » de la charismatique chanteuse, mettant le sourire aux lèvres des spectateurs et apportant par la même occasion une atmosphère décontractée. Véritables poches de respiration, ces titres chantés de Brigitte Fontaine, parmi lesquels « Ah que la vie est belle », servent de contrepoints aux vers graves et tourmentés de Baudelaire.

Dans cette relecture édulcorée des Fleurs du mal, l’absinthe et l’opium sont remplacés par le vin et le miel, tandis que les flâneries dans la grisaille parisienne font place à un pique-nique sous un soleil de printemps lors duquel les comédiens, tantôt enivrés, tantôt joueurs, offrent toute une palette de diverses nuances aux poèmes et chansons qu’ils interprètent. Que les amateurs du décadentisme propre au milieu du XIXe siècle ne se réjouissent pas trop vite : les Fleurs du mal proposées par Françoise Courvoisier se rapprochent plus du charmant bouquet de pâquerettes que de celui de chrysanthèmes fanés.

 

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