Pas facile de jouer dans la cour des grands

Par Sophie Badoux

Une critique sur le spectacle :
RéCréation / par In Pulverem Reverteris / d’après l’œuvre de Robert Walser / mise en scène Danielle Bré / Théâtre La Grange de Dorigny / du 6 au 7 février 2014

© Danielle Bré

La metteure en scène marseillaise Danielle Bré a présenté sa RéCréation à la Grange de Dorigny. Un spectacle avec pour thématique l’adolescence qui se base sur l’œuvre de l’écrivain suisse Robert Walser. Si grand potentiel il y a, on s’ennuie vite et on attend avec impatience que sonne la cloche.

Danielle Bré, metteure en scène et fondatrice de la compagnie In Pulverem Reverteris en 1980, est aussi maître de conférence en études théâtrales à l’Université d’Aix-Marseille, ainsi que directrice du Théâtre Antoine Vitez (cousin germain de notre Grange de Dorigny puisqu’il est lui implanté sur le campus de l’Université d’Aix-Marseille). Avec RéCréation, elle a voulu porter à la scène l’œuvre de Robert Walser, écrivain suisse né à Bienne en 1878, qu’elle affectionne particulièrement. Formant le socle de la démarche : l’adolescence et ses tourments, qui sont inscrits en filigrane dans toute l’œuvre de Walser. Ce dernier, issu d’une famille de huit enfants, quitte le domicile familial à 17 ans après un apprentissage de commis pour se lancer dans une carrière de comédien, mais sans grand succès. Il se tourne alors vers l’écriture.

Reprenant les questionnements de Walser sur l’adolescence, Danielle Bré a effectué un collage de textes – L’institut Benjamenta (1909), Les enfants Tanner (1907) ou Les rédactions de Fritz Kocher (1904) entre autres – pour faire émerger six personnages prototypiques des réflexions de Walser. On découvre sur scène le rêveur, la révolutionnaire, le scolaire très appliqué ou le naïf. Six adolescents qui se retrouvent dans une salle de classe emplie de vieux matériel semblant dater du XIXe siècle – l’ambiance rappelle d’ailleurs celle du fabuleux film noir-blanc des frères Quay Institut Benjamenta (1996). D’une salle de lycée classique, la scène se transforme rapidement en cour de récréation où, une fois tables et chaises renversées, les ados dansent, jouent, réfléchissent sur le monde, se séduisent ou s’affrontent, comme dans ce concours de rhétorique dans lequel il s’agit de ne pas perdre son sang-froid, l’une des belles trouvailles de mise en scène du spectacle. Autre idée captivante : dans un coin de la scène, une table et une chaise offrent un hors-scène visible servant de confessionnal aux personnages qui viennent s’y livrer. L’excellente diction des acteurs ébahit, mais leur capacité à faire passer des émotions reste plus inégale. Le jeu sonne parfois faux, comme s’ils ne croyaient pas un instant ce qu’ils sont en train de dire. Arrive aussi un moment où les déplacements sur scène se répètent jusqu’à en devenir particulièrement lassant.

Un autre problème inhérent au spectacle est le côté patchwork de textes dont on suit parfois difficilement le fil narratif. La langue de Walser, si finement ciselée et qui confère à ses écrits une atmosphère particulière à mi-chemin entre rêve et réalité, peine à éclore sur la scène. Le temps manque pour saisir la beauté de la langue. Le rythme rapide et régulier du spectacle n’offre que peu de moments de répit pour se pencher soi-même sur la réflexion proposée. Le projet initial de Danielle Bré, « parler aux adolescents d’aujourd’hui des préoccupations de leur âge dans une langue qui ne soit pas celle des SMS », ne semble pas tant fonctionner. On ne retrouve finalement ni Walser, ni les ados d’aujourd’hui. On ressent surtout chez la metteure en scène l’envie d’éduquer mais manque dans la transmission du propos la fougue qui caractérise l’adolescence. Comme un élève indiscipliné, on se prend à soupirer et à bouger sur son siège en attendant la fin de la récréation.

 

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