Par Deborah Strebel
Une critique du spectacle :
Trop Frais ! / création Le Ressemblement / mise en scène Aurélien Patouillard / Théâtre Saint-Gervais à Genève / du 14 au 25 janvier
Autoportrait imaginé et présenté par huit jeunes âgés de 17 à 25 ans, Trop frais ! propose un voyage tout en variations au sein d’une jeunesse créative et perspicace.
Il est bien légitime qu’après 50 ans, la jeunesse reprenne possession de cette ancienne Maison des Jeunes ouverte en 1963 qu’est Saint-Gervais, reconvertie donc par la suite en haut lieu culturel alternatif genevois. Sept demoiselles et un jeune homme envahissent ainsi le théâtre pour une dizaine de soirs. Ils partagent généreusement leurs histoires, évoquent leurs origines et annoncent même leurs aspirations pour le futur. Cet autoportrait est rythmé par une série d’alternances. Entre vie fantasmée et vie réelle, entre docilité et révolution, ce spectacle semble osciller entre nos attentes et leurs propres vœux. Entre murmures et hurlements, entre récitations et chants, entre instruments de musique traditionnels et synthétiseurs électroniques, cette dynamique bringuebalante se ressent ainsi jusque dans les divers moyens d’expression choisis. Ce même mouvement de balance est encore éprouvé dans la présentation des divers thèmes abordés, à commencer par la relation avec les parents. En listant tout d’abord diverses remontrances types telles que « range ta chambre » ou « non il y a le 19h30 », les comédiens paraissent vouloir s’affranchir des pressions parentales. Néanmoins, dans un deuxième temps, s’ensuit une énumération touchante de remerciements à leur intention, comprenant un « merci de faire le taxi à 2 heures du matin » ou encore un « merci de m’avoir appris à graisser mes sacs en cuir ». En fin de compte, ces diverses variations semblent justement symboliser cette période confuse et hésitante caractéristique de nos jeunes années.
Afin de réfléchir à cette phase de la vie, Le Ressemblement – collectif réunissant trois metteurs en scène diplômés de la Manufacture, Cédric Djedje, Vincent Brayer et Aurélien Patouillard – est parti à la recherche de jeunes gens. Via les réseaux sociaux, le bouche à oreille, la distribution de flyers, et les visites dans les classes ou autres maisons du quartier, les trois artistes ont rencontré des jeunes issus de divers horizons. Après en avoir sélectionné douze, ils ont effectué ensemble un stage intensif mêlant photographie, découvertes de nombreux spectacles et création de minis-performances. Certains quittent l’aventure, d’autres restent. Dès le mois de novembre, les textes s’écrivent peu à peu, sous la houlette d’Aurélien Patouillard. A la fin du mois suivant, la pièce a son squelette, les répétitions peuvent commencer. Et c’est en ce mois de janvier que les représentations ont lieu.
Dès lors, le public peut ainsi découvrir ce riche autoportrait guidé, semble-t-il, à la fois par la volonté de s’émanciper, de s’affranchir des attentes et de rejeter les stéréotypes. Dépassant le simple conflit intergénérationnel, la pièce réfléchit tout en fraîcheur à des sujets graves et essentiels comme l’identité, l’immigration forcée, la sexualité ou encore le consumérisme qu’elle semble dénoncer de manière extrêmement visuelle, empruntant certains codes à la performance artistique. Afin d’illustrer la surconsommation notamment, l’ancienne table du salon déborde de pop-corn, des steaks hachés y sont cuits à l’aide d’un fer à repasser, tout est recouvert abondamment de ketchup. Réel banquet à la manière fast-food, le festin se savoure avec les mains. La bouche grande ouverte reçoit d’impressionnantes quantités de sauce tomate à même le tube, tandis qu’à l’arrière-scène un sac poubelle monumental se gonfle de plus en plus.
Au ton faussement léger et au visuel chargé, Trop frais ! traite avec une grande sincérité et une stupéfiante lucidité de sujets intemporels et fondamentaux.