Et si on parlait de Tchekhov ?

Par Jehanne Denogent

Une critique du spectacle :
La Mouette / de Tchekhov / mise en scène Jean-Michel Potiron / Théâtre La Grange de Dorigny / du 14 au 16 novembre 2013

© T. Steiger

A la Grange de Dorigny, pour mettre en scène La Mouette de Tchekhov, Jean-Michel Potiron fait le pari de la sobriété.

Il y a certaines voix que l’épreuve du temps et celle de la mort n’ont pas réussi à faire taire, ni à brouiller d’ailleurs. Elles restent claires et puissantes, exerçant encore leur influence magique, tel Raspoutine sur ses disciples ahuris. Les mots de Tchekhov, disséminés à partir du sol russe il y a plus d’un siècle, continuent à trouver terreau dans le théâtre actuel. Jean-Michel Potiron s’empare de l’un des textes les plus fameux de l’écrivain, La Mouette, pour l’implanter sur le terrain fertile de l’université, à la Grange de Dorigny.

Comment faire face à ces spécimens précieux que sont les textes classiques ? Potiron semble chercher la réponse du côté de la fidélité au texte plutôt que de l’originalité : une simple valse au piano pour musique et quelques tabourets rustiques, c’est tout. La simplicité fait écho à la petite scène montée dans le récit : « Aucun décor. La vue s’ouvre directement sur le lac et l’horizon. » Sur le plateau, le regard va au-delà, sur  notre imagination.

Garder une ligne épurée, c’est donner à voir la substance du texte et lorsqu’on parle de La Mouette, on touche à une substance sublime, diamant noir aux angles fins et infinis. Pendant quatre actes, le spectateur de Tchekhov s’immisce toujours plus profondément à travers les couches de relations aussi fragiles que complexes. Arkadina, étoile dans le monde du théâtre, revient dans sa maison de campagne, suivie de son indolent compagnon Trigorine. A cette occasion, son fils Constantin a monté une pièce de théâtre avec son amoureuse, Nina. Il ne vit que pour l’approbation d’Arkadina, qui, trop perdue dans son narcissisme, a oublié ce qu’était d’être mère. Quant à Nina, fille du paysan d’à côté, sa première expérience des planches lui donnera le goût du monde brillant des artistes. Jusqu’à s’en brûler les ailes.

La simplicité de la scénographie resserre la consistance de la pièce autour des acteurs, fil élémentaire garant de tension et de force. Ils ont pour responsabilité de tisser, patientes araignées, la fine toile des relations. Ce sont des liens ténus, subtils et parfois bien tordus qui relient le destin des dix personnages. Pour composer cela, Jean-Michel Potiron a choisi de travailler avec une troupe de comédiens déjà constituée. La constellation qui les unit vient se superposer à celle du texte pour un résultat dense et lumineux. Moins d’exubérance n’aurait toutefois pas nui à l’expression de sentiments si variés. Le suspens n’en est pas moins tenu, jusqu’aux dernières paroles de Nina: « Je suis une mouette… Ce n’est pas ça… ». Sa voix continuera à nous hanter, blanche et hypnotique.

 

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