Par Jonas Guyot
Une critique du spectacle :
Laverie Paradis / de Claude-Inga Barbey / mise en scène de Séverine Bujard / Théâtre des Osses à Fribourg / du 8 novembre au 1er décembre 2013
Dans un décor sans cesse en mouvement, Laverie Paradis, joué par Doris Ittig et Claude-Inga Barbey, interroge les différentes facettes de la foi dans le parcours mouvementé de la vie d’un être humain.
Un carré blanc marqué au sol forme l’aire de jeu qui semble trop petite par rapport à la scène du Théâtre des Osses. Des coulisses improvisées sont aménagées grâce à trois draps blancs qui constituent le fond du décor. Le tout semble précaire et pourtant, la magie opère. Le spectateur accepte d’être conduit de l’appartement d’une voyante à une laverie, en passant par une église, un terrain d’entraînement pour l’éducation des chiens, ou encore une salle d’attente d’un cabinet médical. Ces changements de lieu rapides sont astucieusement figurés par l’usage qui est fait des quelques éléments de mobilier. Un petit escalier de trois marches qui permet d’entrer en communication directe avec Dieu peut en effet se transformer en banc d’église et concrétiser la transition entre les différents espaces.
Dans ce décor sans arrêt en mouvement, les personnages eux-mêmes ne cessent de changer d’apparence. La comédienne Claude-Inga Barbey, qui est aussi l’auteure du texte, joue le rôle d’un ange gardien qui tente de convertir Bernadette, une pauvre femme dont les amours ont été déçues. Cet envoyé de Dieu cherche également à récupérer le Saint-Suaire enlevé négligemment dans une église par Bernadette. Dès lors, l’ange prend une multitude de visages afin de récupérer cette relique. Le recours à ces nombreux personnages tous incarnés par Claude-Inga Barbey s’avère être un procédé intéressant, mais ces figures n’échappent malheureusement pas toujours à la caricature, dans leurs propos comme dans le jeu. Ainsi, la comédienne endosse le rôle d’une espagnole à l’accent trop marqué, employée dans un pressing et se présentant comme une fervente catholique, adoratrice de la Vierge. On retrouve également le personnage d’une Suisse allemande qui par sa rigidité excessive n’échappe pas au cliché. Le spectateur admirera cependant la fluidité avec laquelle les métamorphoses de Claude-Inga Barbey s’enchaînent et appréciera l’humour qui en émane.
Quant à Doris Ittig, nous ne pouvons que relever l’incroyable charme qui se dégage de son personnage. Elle revêt le rôle de Bernadette, cette femme insignifiante et totalement banale qui suivra un véritable chemin de croix tout au long de la pièce. Trop bonne et généreuse, cette femme est l’archétype de celle qui a un cœur trop grand pour se rendre compte qu’on abuse d’elle. A l’étroit dans son tailleur rose bonbon, elle attend désespérément le jour où son Gilbert quittera sa femme. Cette figure pathétique sombre peu à peu dans le désespoir. Si Doris Ittig ne joue qu’un seul rôle dans la pièce, elle fait de son personnage un être assez complexe. Au premier abord un peu simple et naïve, Bernadette se révèle être un individu doté d’un autre type d’intelligence, qui émane d’une très belle sensibilité.
Le texte de Claude-Inga Barbey questionne de manière pertinente la place de la religion et surtout de la foi dans notre société. Il se moque gentiment des « bigots », des intellectuels un peu mondains qui condamnent la religion mais se jettent dans la spiritualité ou encore des charlatans, profitant de la naïveté de certaines personnes. Sans tomber dans le plaidoyer religieux, ou à l’inverse, dans le pamphlet anticlérical, l’auteure visite les multiples facettes de la foi en s’interrogeant sur la nécessité de croire en quelque chose. C’est le fameux plan « Job » qu’évoque tout au long de la pièce le personnage de l’ange gardien : il consiste à faire “toucher le fond” à une personne pour que la foi l’aide à remonter la pente. A la fin de la pièce, il reste à chacun de trouver en quoi il a foi.