Un aigle royal à Vidy

Par Jehanne Denogent

Une critique du spectacle :
Hamlet / de W. Shakespeare / mise en scène Thomas Ostermeier / Théâtre de Vidy à Lausanne / du 8 au 10 octobre 2013

© Arno Declair

Interrompant quelques jours son vol royal pour se poser au bord de l’eau, Thomas Ostermeier présente une version fracassante de Hamlet à Vidy. Il y a bien, dans la présence du metteur en scène berlinois Thomas Ostermeier, quelque chose du milan royal : le regard acéré ; le bec, tout comme ses propos, puissant et tranchant et puis le panache, celui d’un metteur en scène reconnu internationalement.

Entre ses serres, la très classique pièce Hamlet de Shakespeare réécrite par Marius von Mayenburg. Il a trouvé là noirceur à sa démesure. En effet, lorsque le père d’Hamlet, roi de Danemark, meurt, c’est son frère qui lui succède et épouse la veuve vite consolée. Hamlet, suspectant un fratricide, décide de simuler la folie pour révéler la sordide vérité. S’il commence par la jouer, la démence le rattrape brutalement.

Pour jouer la folie, qui d’autre que l’acteur fétiche d’Ostermeier, Lars Eidinger ? Cet Hamlet est loin d’être romantique, plutôt dégoutant même : bouffon insolent, grotesque et transpirant. Il détonne au sein de la cour royale. Il a les yeux rouges de délire et les ailes frénétiques, cet Albatros. On rit mais il dérange, au fond.

Il évolue sur une scène recouverte de terre noire et grasse. Au second plan, une longue table de banquet blanche. Le contraste est grand entre la matière primaire, mêlant sang, désirs et violence, et la fête glamour d’une famille royale. A voir la veuve rire et danser, on vient à douter de la blancheur de son plumage. Hamlet serait-il le seul à porter un masque ? Parmi l’hypocrisie des autres, son rôle est peut-être le plus admirable car lui joue pour la vérité. Le personnage d’Hamlet est d’ailleurs le seul à être interprété par un unique acteur, les autres membres de la Schaubühne empoignant deux rôles. Ce choix scénographique participe intelligemment au climat de tromperie et d’hypocrisie.

Quand l’ombre d’Ostermeier passe sur le texte de Shakespeare, il en sort un chant tragique et puissant. Quelque fois un peu bruyant cependant. La recherche de l’imposant et de la provocation peut étouffer la sincérité du propos. Aux nombreuses sollicitations de l’attention du public, je préfère parfois assister, tranquillement sur ma branche, à l’aliénation simple mais bouleversante d’un être. Il est en même temps difficile de reprocher au metteur en scène allemand sa patte si particulière qui lui valut un Lion d’Or en 2011 pour toute sa carrière. Il a en effet signé ces dernières années des mises en scènes retentissantes dont Les Revenants à Vidy en 2013 ou alors Mesure pour mesure qui reçut le prix Fridrieche-Luft en 2011.

Milan royal, loin dans les airs, Ostermeier attire à chaque fois dans sa traîne une volière pépiant d’excitation. Le spectacle si attendu ne déçoit pas. On en ressort les plumes ébouriffées, les pattes mal assurées et la huppe penchée.

Théâtre de Vidy (Lausanne), du 8 au 10 octobre 2013.

 

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