L’arrière-goût du passé

Par Aline Kohler

Une critique du spectacle :
La Pierre (Der Stein) / de Marius von Mayenburg / mise en scène Gianni Schneider / Théâtre La Grange de Dorigny / du 9 au 19 janvier 2014

© Mario Del Curto

La Compagnie Gianni Schneider donne vie à La Pierre (Der Stein), une pièce de théâtre écrite en 2010 par Marius von Mayenburg, figure incontournable du théâre contemporain allemand. Une belle découverte à la Grange de Dorigny, avec un texte qui évoque l’Allemagne et son histoire sous une perspective plus méconnue : comment vivre aujourd’hui avec ce passé douloureux.

Au coeur de l’action, une maison, en Allemagne. A qui appartient-elle ? A la famille juive contrainte de la vendre pour presque rien lors de son exil forcé ? Au jeune couple allemand qui la lui a achetée ? Le dilemme se pose en 1993, alors que l’Allemagne est réunifiée. Dans cette maison, symbole d’une injustice semblant être irréversible, trois générations de femmes se retrouvent. De retour dans la maison après une longue absence, leur passé ressurgit. Sous forme de souvenirs pour la grand-mère, Witha, et la mère, Heidrun. Sous forme d’interrogations et de révélations pour la petite-fille, Hannah, en quête de modèles.

Cette famille cherche un moyen d’aborder son histoire complexe. La difficulté d’assumer des paroles et des actes commis dans la situation extrême de la guerre et sous le régime totalitaire mènent les plus âgées à réinventer et arranger leurs discours. Au point que la grand-mère finit par s’emmêler avec les différentes versions. Entre non-dits, mensonges et demi-vérités, les questions d’Hannah, la petite-fille, restent souvent sans réponse. C’est de cette manière que Marius von Mayenburg a choisi de parler d’un traumatisme qui touche toute une société, et qui déteint sur plusieurs générations.

Les interrogations restent souvent en suspens pour les personnages, mais la clef est peu à peu livrée au public, notamment par le biais de projections sur scène. En cela, les choix de mise en scène (Gianni Schneider) et de scénographie (Sébastien Dupouey et Gianni Schneider) sont visuellement subtils et efficaces. Les scènes, alternant sans cesse entre les différentes époques, sont habilement rendues à travers le décor. Sur le plateau se dessine une simple pièce dotée d’une table, de quelques chaises et fauteuils et d’un luminaire rétros. Derrière, une paroi sur laquelle sont projetés tour à tour différentes tapisseries et différents tableaux souligne chaque changement d’époque. Les personnages d’autrefois sont joués hors scène par des comédiens projetés eux aussi sur le mur. Les costumes (Anna van Bree) marquent pour leur part la génération à laquelle chaque personnage appartient. L’ensemble de ces détails aide le spectateur à se repérer dans l’enchevêtrement des récits.

Le rythme de la pièce, volontairement marqué par quelques longs silences, aurait pu provoquer plus d’effet et d’émotions sur le public si le jeu avait été d’emblée plus réactif et plus fluide. Mais le texte, même s’il semble légèrement souffrir d’une traduction allemand-français parfois littérale, est percutant et subtil. La Pierre est une pièce énergique qui met en lumière avec finesse la complexité de l’histoire allemande et du travail de mémoire.

 

 

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