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Critique littéraire

Du mic au roman

« J’ai une dégaine d’ado et une tête d’Arabe. » Ainsi se présente Raïzo, héroïne solitaire qui vit en marge d’une Lausanne grise et nerveuse. Trentenaire cabossée, elle survit grâce à une culture illégale de cannabis et un réseau de « dead drops » — ces boites aux lettres mortes utilisées pour des livraisons clandestines. Jusqu’au jour où une organisation opaque la propulse dans un jeu d’espionnage aux ramifications globales.

La narration s’ancre dans une langue directe, vive, nourrie d’oralité et de colère, qui porte l’empreinte de son autrice. Le texte impose un rythme soutenu, traversé d’images brutes et porté par la gouaille d’une voix qui refuse de plier. Raïzo incarne à la fois la débrouille quotidienne et une forme de résistance sociale, mais cet équilibre fragile bascule rapidement dans une enquête périlleuse. Le roman interroge la condition de ceux que la société relègue à ses marges, et la ténacité avec laquelle ils refusent d’y disparaitre, même si le récit n’échappe pas à quelques clichés du roman d’espionnage, à un jargon informatique convenu et à une construction un peu heurtée.

Dead Drop offre une fresque moderne où la technologie, omniprésente, devient un véritable champ de bataille : outil d’émancipation pour celles et ceux qui savent s’en saisir, moyen de réinventer des formes de solidarité et de résistance, mais aussi instrument de contrôle, de surveillance et de domination, où s’expose la violence sourde d’un monde hyperconnecté. C’est dans cette tension que La Gale inscrit son geste littéraire : rugueux et imparfait, mais vibrant d’une énergie politique percutante.


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Analyses et métaréflexions

Mémoires critiques : retour réflexif

J’ai rédigé des courtes critiques littéraires portant sur quatre ouvrages d’auteurs et autrices suisses : La Longe de Sarah Jollien-Fardel, Je me réveillerai un matin sous un ciel nouveau d’Anne Brécart, La Danse des pères de Max Lobe et Glace morte de Walter Rosselli.

Pour réaliser ces critiques, j’ai d’abord eu l’idée de m’inspirer de certains courants critiques majeurs (par exemple le structuralisme ou la psychocritique) et d’appliquer à chacune des œuvres de mon corpus une approche spécifique. Or, j’ai rapidement constaté la difficulté de ce genre de commentaire, ainsi que le manque de souplesse qu’il entraîne, en restreignant la lecture à une seule grille d’analyse. En effet, ces théories critiques empêchent parfois de pouvoir mentionner, au besoin, des observations qui sortent de leur cadre propre ou de celui des domaines auxquels elles s’intéressent. Ces réflexions ont été menées en même temps que la lecture d’un ouvrage de Jean Starobinski, La Relation critique, dans lequel l’auteur genevois valorise précisément une approche critique qui se construit en fonction de l’œuvre à commenter. Rien ne sert de vouloir appliquer une théorie prédéterminée à l’œuvre littéraire, celle-ci qui appelle à des analyses relevant de divers domaines en fonction de sa construction, de sa forme ou de sa thématique. J’ai donc abandonné cette première idée au profit d’une lecture plus attentive à la spécificité de chaque ouvrage.

Pour garder une certaine cohérence entre mes différentes critiques, j’ai finalement décidé de rechercher une thématique commune entre les œuvres commentées, pour pouvoir analyser et comparer la manière dont elle exploite ce motif. Ce fil directeur a été celui de la mémoire et du souvenir. Thème majeur de ces quatre ouvrages, le travail ou la recherche mémorielle touchent tous les personnages qui prennent part à ces récits. Qu’ils soient dans un instant de crise, un moment de vie intense ou une période de remise en question, tous tentent de se rappeler un passé oublié, ou au contraire de faire le deuil d’évènements de vie révolus mais encore trop présents. À leur manière, ces ouvrages disent tous l’importance de la mémoire et déclinent comment le souvenir peut devenir une arme contre le présent (Je me réveillerai un matin sous un ciel nouveau), un barrage contre l’oubli (La Longe) ou une remémoration qui permet d’avancer (La Danse des pères). Ainsi et dans toutes mes critiques, j’ai tenté d’inclure quelques lignes ou quelques paragraphes sur ce sujet, pour mettre en lumière la manière originale et singulière dont chaque récit traite cette thématique.

Sur le plan méthodologique, j’ai dans un premier temps sélectionné mes lectures en parcourant les publications récentes. Certains ouvrages m’ont tout de suite attirée et m’ont donné l’idée de développer cette thématique mémorielle. J’ai choisi les deux derniers en fonction de celle-ci, en cherchant des ouvrages qui abordaient également cette question. Par la suite et après une lecture et une annotation attentives des œuvres, j’ai toujours tenté d’établir un premier plan général avant de commencer la rédaction. En déterminant par avance les éléments que je voulais aborder, et en sélectionnant certaines citations, il m’était ensuite plus simple d’entamer mon commentaire. L’étape de la réécriture a été également essentielle. Avec les commentaires des enseignants de l’Atelier, j’ai pu retravailler mes différentes critiques, ajouter des éléments pertinents et reformuler des passages qui manquaient de précision et de clarté.

Quelques difficultés sont apparues au fil de la rédaction. La première fut de trouver le juste équilibre entre résumé de l’ouvrage et analyse critique, notamment sans trop dévoiler l’intrigue. Par exemple, dans le cas de ma critique sur La Longe, il m’a fallu trouver la bonne formulation pour la fin de mon commentaire, pour exprimer clairement mon jugement tout en conservant une part de mystère sur le dénouement de l’œuvre. La deuxième difficulté est celle de garder en tête que le potentiel lecteur de la critique n’a pas forcément lu l’ouvrage, et n’a donc pas accès aux divers éléments de forme et de contenu mentionnés dans le commentaire. Cela nécessite d’être toujours précise et explicite pour que les différentes observations et analyses soient claires et toujours accessibles. Enfin et parce que cette pratique était nouvelle pour moi, il m’était parfois difficile de justifier mes impressions de lecture, et surtout de savoir quels éléments méritaient d’être invoqués pour le faire. Cependant et au fil des lectures et des rédactions, cette sélection est devenue de plus en plus facile.

Malgré ces quelques difficultés, j’ai trouvé cet exercice très enrichissant et formateur. Il m’a permis d’expérimenter une pratique qui n’est pas fréquente dans le cadre d’études universitaires, en réunissant des outils d’analyse textuelle à une approche plus subjective.

Bibliographie

Ouvrages

– BRÉCART Anne, 2025, Je me réveillerai un matin sous un ciel nouveau, Chêne-Bourg, Zoé.

– JOLLIEN-FARDEL Sarah, 2025, La Longe, Paris, Sabine Wespieser.

– LOBE Max, 2025, La Danse des pères, Chêne-Bourg, Zoé.

– ROSSELLI Walter, 2025, Glace morte, Genève, Slatkine.

Littérature secondaire

– STAROBINSKI Jean, 1970, La Relation critique, Paris, Gallimard.