Récemment séparée, la narratrice du nouveau roman d’Anne Brécart oscille entre perte de repères et volonté de se reconstruire. Pour elle qui vient tout juste d’arriver dans un appartement prêté quelque temps par des amis, rien n’est plus dur que de faire face à l’échec de son mariage et aux changements que celui-ci annonce dans sa vie de famille. Quand elle rencontre S., un séduisant enseignant, le désir d’une nouvelle relation vient troubler davantage un ciel déjà agité. Ce roman retrace d’une manière touchante quelques mois de la vie d’une femme en pleine reconstruction, jusqu’au chemin de la renaissance.
Prenant la forme d’un journal intime, Je me réveillerai sous un ciel nouveau adopte un style narratif personnel et réflexif : la narratrice retrace quotidiennement les évènements vécus, ses pensées et ses sentiments. Sur les traces de Virginia Woolf dont elle aime à lire le carnet personnel qu’elle transporte partout avec elle, son journal donne accès à ses émotions et à ses réflexions qui sont pleines d’introspection, parfois de doute :
Ce que je vois autour de moi, c’est l’absence de ceux avec lesquels j’ai vécu si longtemps. C’est le prix à payer, me dit une petite voix. Il faut assumer son indépendance, sa liberté. (p. 13)
Les doutes, les questionnements et les incertitudes de la narratrice semblent retranscrits dans l’immédiateté de leur ressenti, laissant le lecteur face à des émotions intenses, parfois face à la confusion et l’incohérence des sentiments éprouvés en ces instants de crise. Entre la tristesse d’avoir perdu l’homme qu’elle aime et l’envie de vivre de nouvelles aventures, la narratrice partage avec honnêteté les contradictions et les tensions qui participent de son bouillonnement intérieur. Le style peu naturel de certaines tournures et expressions semble parfois contrarier la dimension spontanée et intime de l’écriture :
Je monte à l’étage ; dans les chambres mansardées, les murs sont comme recouverts d’une couche de temps. (p. 18)
D’autres lignes plus spontanées, instinctives et presque naïves, donnent l’impression d’accéder pleinement à un univers secret et personnel.
Ce monde intérieur semble évoluer de concert avec la nature et les saisons. L’humeur de la narratrice est comme le miroir de la couleur du ciel qu’elle aime décrire dans son journal intime. En effet, sa tristesse apparaît les jours de pluie et s’en va avec l’arrivée du beau temps. Si elle regrette la morosité de la ville, elle retrouve aussi sa joie de vivre au milieu de la nature. Lorsqu’elle dresse un tableau du lac et des éléments qui se déchaînent, c’est, semble-t-il, la tempête interne de ses émotions qu’elle donne à lire. Avec finesse, la nature est ici transformée et devient le reflet d’un univers émotionnel en plein bouleversement.
Ce ciel intérieur est pourtant embelli par l’évocation de moments de vie passés, remémorés au fil des jours et de leurs évènements. Ainsi, c’est son enfance et son arrivée à Genève, accompagnée de sa grand-mère, qui revient à l’esprit de la narratrice, puis son adolescence avec sa meilleure amie Nell et, plus tard, sa vie de jeune maman. Le souvenir devient ici un lieu sur lequel s’appuyer, une remémoration qui relie le passé au présent, un appui et un barrage contre l’indétermination :
Le temps semble se replier sur lui-même, ma vie d’étudiante rejoindre celle de mère déserteuse. (p. 15)
Les quelques mois décrits ici ne représentent qu’un instant dans cette infinité de moments de vie où apparaît alors toute la profondeur et l’étendue d’une existence. Le travail du temps, de la mémoire et du souvenir semble ainsi, petit à petit, ouvrir la voie au chemin de la renaissance.
Ce nouveau départ, la narratrice pense d’abord le trouver dans sa relation naissante avec S., un homme avec lequel elle partage le deuil d’un récent divorce. L’indétermination de leur lien symbolise parfaitement sa vie intérieure, et plus largement l’étape de vie troublée et incertaine dans laquelle elle se trouve. Cette liaison hésitante, qui se fait pour se défaire très vite, est captivante et déroutante. La narratrice, se demandant si elle n’est pas “en train de se faire prendre comme dans une toile d’araignée” (p. 58), semble s’y perdre et se trahir, avant de finalement se retrouver. L’attente et la déception que cette liaison provoque chez elle illustrent avec justesse la vulnérabilité et la fragilité émotionnelle d’une étape bouleversante où il semble facile de s’oublier face à l’espoir d’un nouvel amour.
Or, c’est bien sur le chemin de la renaissance que ce journal s’arrête, tout en laissant le lecteur incertain de ce qu’attend la narratrice. Cependant, tout suggère qu’elle s’est entre temps retrouvée, et qu’elle s’est peut-être, ce matin, réveillée sous un ciel nouveau.