Myriam Bickle Graz

Myriam-Bickle-Graz

La pédiatre Myriam Bickle Graz, médecin associée en néonatologie au CHUV, privat-docent et MER clinique à la Faculté de biologie et de médecine (FBM), rêve d’une médecine équitable et durable. Et surtout sans phtalates! Rencontre.

Cherchez « Bickle » sur internet et vous tomberez sur Myriam Bickle Graz, médecin associée au sein du Service de néonatologie du CHUV et… Travis Bickle, le héros de Taxi Driver. Si cela donne une idée de la rareté du patronyme, la comparaison s’arrête là. A l’exception, peut-être, d’un certain sens de la justice.

« Adolescente, j’hésitais entre la médecine et la justice, c’est-à-dire la défense des enfants », se remémore Myriam Bickle Graz. Après des études de médecine à Lausanne, des séjours au Canada et en Angleterre, elle deviendra pédiatre. Mais a-t-elle vraiment choisi? « Pour moi, devenir pédiatre, c’était pouvoir participer à promouvoir l’égalité des chances: car la proportion d’enfants qui bénéficient d’une médecine de qualité n’est finalement pas si importante, y compris en Suisse. Or j’aimerais que cela soit la même chose pour tout le monde, quel que soit le niveau socio-économique », souligne la médecin.

Myriam Bickle Graz travaille à l’Unité du développement, intégrée au Service de néonatologie du CHUV: cette unité assure le suivi des nouveau-nés à risque. Beaucoup de prématurés, mais aussi des enfants qui ont eu une naissance difficile, manquant par exemple d’oxygène, d’autres qui présentent des malformations cardiaques nécessitant une chirurgie. A quoi s’ajoutent, entre autres, les nouveau-nés affectés par une infection congénitale au cytomégalovirus, ou la problématique des parents vulnérables, par exemple toxicomanes, qui demandent une vigilance particulière.

Service pionnier

En néonatologie, la prise en charge clinique est toujours étroitement intriquée à la recherche et à l’enseignement, trois casquettes qu’assume Myriam Bickle Graz: « Le Service de néonatologie lausannois, fondé en 1967, était un des premiers en Suisse. Or très vite une question s’est posée: qu’allaient devenir les bébés, de plus en plus immatures, qui étaient pris en charge? Il existe donc, depuis 1972, une étude prospective suivant ces patients, avec des critères d’inclusion qui ont un peu varié dans le temps. Aujourd’hui, les nouveau-nés prématurés de moins de 32 semaines ou de moins de 1500 g sont suivis, jusqu’à 5 ans, voire 9 ans pour les plus vulnérables ». Autrement dit, les plus immatures, des bébés pesant moins de 1 kg à la naissance.

L’Unité de développement monitore la croissance, la vue, l’audition, les capacités cognitives, la motricité, le comportement des petits patients. Elle effectue plus de 800 consultations par an, qui consistent aussi à conseiller les parents, à les orienter vers différents spécialistes – logopédistes, ergothérapeutes… -, ou encore à les aider dans leurs démarches pour l’AI. L’Unité effectue encore le dépistage des troubles du spectre de l’autisme (TSA), s’appuyant sur les compétences du Centre cantonal autisme.

Mesurer les inégalités

Myriam Bickle Graz avait choisi un titre intrigant pour sa récente leçon d’habilitation, en mai 2023, comme privat-docent à la FBM: « Équité et durabilité en médecine hautement spécialisée: l’exemple du nouveau-né prématuré ».

On y retrouve le goût pour la justice sociale de la pédiatre. Avec un écueil: « Si on vise l’équité, il faut pouvoir mesurer les inégalités d’accès aux soins: on pense par exemple que 10% de la population ne sait pas lire en Suisse. Mais il faut pouvoir compter aussi sur d’autres indicateurs, dont un est non évalué: l’ethnicité. Cibler cette donnée peut être perçu comme raciste, et c’est dès lors une tache aveugle de la recherche, en dehors de certains pays anglo-saxons, comme les États-Unis et le Royaume-Uni. En France, cette information n’est pas recueillie dans les projets de recherche, et en Suisse on n’en parle pas, en tout cas pas dans les travaux en médecine pédiatrique ».

Or des études américaines suggèrent de franches inégalités dans le devenir des patients prématurés en fonction de l’origine ethnique. Des disparités que le Covid a contribué à révéler. Faire « comme si de rien n’était » pourrait donc être totalement contre-productif, dommageable pour les populations-mêmes qu’on ne veut pas stigmatiser.

« En l’état, je n’ai rien, aucune donnée locale », regrette Myriam Bickle Graz. C’est pourquoi elle pilote un travail de Master dont l’ambition est d’évaluer la morbidité et la mortalité des enfants prématurés, en fonction de la nationalité, de la langue et du niveau socio-économique, et souhaite dans un deuxième temps évaluer le rôle de l’ethnicité dans la prise en charge et le devenir de ces patients. A court terme, lors de la prise en charge en néonatologie, et à long terme, jusqu’à 18 mois.

Initiatives durables

Outre l’équité, la durabilité est le deuxième axe que développe Myriam Bickle Graz, qui fait elle-même partie de l’association Les Engagés pour la santé, qui œuvre pour une médecine soutenable et équitable. Un enjeu souvent perçu comme antinomique avec la médecine hautement spécialisée, par définition très technique, et donc grosse consommatrice de ressources: « C’est vrai, les locaux de néonatologie sont blindés d’appareils ultra-technologiques, mais il n’empêche qu’il y a aussi beaucoup d’initiatives, lancées par différents membres de notre équipe, qui promeuvent une médecine plus durable. »

Elle cite l’action menée par la Dre Céline Fischer Fumeaux, médecin adjointe en néonatologie, privat-docent et MER clinique à la FBM, en collaboration avec d’autres collègues: « Ils ont fait la chasse aux perturbateurs endocriniens, en particulier les phtalates, qu’on trouve dans une unité de néonatologie ». Et il y en a beaucoup, en gros dans tous les plastiques mous présents dans le matériel médical: gants, sondes, couches-culottes… On en décèle même dans le lait, par migration de particules présentes dans les contenants. « C’est un enjeu particulièrement aigu en néonatologie, puisque les enfants prématurés, en raison de leur faible poids, en absorbent des doses proportionnellement plus importantes ». Reste maintenant à trouver des alternatives aussi efficaces, ce qui est loin d’être évident.

« Il est déjà important d’avoir identifié le problème: cela permet de faire baisser globalement l’exposition des enfants, y compris au domicile – nous essayons de sensibiliser les parents sur les perturbateurs endocriniens dans nos consultations. Pour moi, c’est l’objectif de ce genre de projet: faire sortir la science de l’hôpital et l’amener dans la vraie vie. Les phtalates sont un enjeu de taille, l’exposition quotidienne peut être importante. De plus, nous avons affaire à forte partie: parce que les enfants, c’est un marché! »

Low cost, low tech, haute valeur ajoutée

Toujours dans l’optique durable, Myriam Bickle Graz cite le travail de son collègue pédiatre Eric Giannoni, professeur associé à la FBM, néonatologue et intensiviste, qui cherche à diminuer l’administration d’antibiotiques aux nouveau-nés, à la fois pour préserver leur microbiote et freiner l’antibiorésistance. Ou encore l’unité peau-à-peau, ouverte en 2022, qui permet à des bébés nés un peu en avance, ou avec un problème médical ne nécessitant pas de soins intensifs, de rester « en kangourous contre leurs parents ».
« Il s’agit d’initiatives, de traitements low cost, et souvent low tech, qui permettent, tout en maintenant le lien entre les parents et leur enfant, d’envisager une médecine plus durable, voire plus équitable », se réjouit Myriam Bickle Graz, qui souligne encore l’implication des associations de patients, comme Né trop tôt.

« J’aime la science simple, et utile à tous », souligne encore la médecin. Autre exemple, un papier publié dans JAMA en 2021. En plein Covid, alors qu’on s’inquiétait des compétences sociales des enfants des crèches et des petites classes, confrontés à des éducateurs masqués, Myriam Bickle Graz et ses collègues ont testé la reconnaissance des émotions chez un large panel d’enfants de 3 à 6 ans. Pour ce faire, ils leur ont présenté des photos de visages affichant des émotions de base, tour à tour sans masque et masqués. Bilan: « Il y avait certes une petite différence, mais cliniquement pas significative. » Une étude simple, abondamment citée, qui a battu en brèche une idée reçue.

Nicolat Berlie, Communication FBM