Regard pluriel sur les religions
Docteure de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’université de Lausanne et désormais directrice du Centre intercantonal d’information sur les croyances (CIC) depuis 2020, Manéli Farahmand porte en elle toute la richesse et la complexité de la mixité. Un pedigree qui va façonner sa carrière et ses recherches académiques.
Tout d’abord la pudeur à parler de soi. Puis la sensibilité à dénouer ses racines iraniennes. Docteure de la Faculté de théologie et de sciences des religions et directrice du Centre intercantonal d’information sur les croyances (CIC) depuis 2020, Manéli Farahmand porte en elle toute la richesse et la complexité de la mixité.
Âgée de 36 ans aujourd’hui, la native de Téhéran migre en Suisse romande en 1989 avec ses proches. Au sein de ce cocon familial lettré, le thème de la religion, de son lien avec le politique et de l’appartenance au sens large, sont des sujets très discutés. «Nous avons grandi en Suisse dans une diaspora iranienne comprenant diverses minorités religieuses. Mon père est un scientifique, médecin. Proche du soufisme, ma mère est l’une des fondatrices de RECIF dans les années 90, le centre de rencontres et d’échanges interculturels pour femmes migrantes. Très tôt, du fait de ce bagage, j’ai questionné l’interculturalité.»
L’actualité iranienne, née du soulèvement de septembre 2022 contre le régime des mollahs, rattrape ses recherches et ses réflexions: «Je suis partagée entre un espoir de changement grâce aux mouvements sociaux, une admiration du courage des femmes et de toute la jeunesse qui militent dans l’espace public et beaucoup d’inquiétudes et de tristesse vis-à-vis de l’appareil répressif ainsi que de la violence déployée pour réfréner ces mobilisations. Dans ce contexte, le religieux est un facteur répressif.» Manéli Farahmand n’occupe pas le poste de directrice du CIC par hasard. Fondée en 2002 dans le sillage du drame de l’Ordre du Temple Solaire (OTS), cette fondation privée d’utilité publique s’est donné la mission d’informer de manière neutre afin d’améliorer les connaissances sur les mouvements religieux en Suisse et d’en prévenir les dérives, s’il y en a: «Il ne s’agit pas d’étudier la religion de manière autonome ou isolée. C’est un objet qui interagit constamment avec son environnement culturel et politique.»
Avant d’en arriver là, Manéli Farahmand fait ses premiers pas à l’UNIL, à la Faculté des lettres, où elle brigue un Master en histoire contemporaine, puis un Master interfacultaire. Mais la chercheuse a la bougeotte. Dans le cadre de sa spécialisation sur les phénomènes religieux marginalisés, elle s’immerge sur le terrain du Chiapas, au sud du Mexique, pour une recherche anthropologique. De retour en Suisse, elle poursuit sa carrière sur le terrain, dans diverses ONG actives sur les droits humains.
L’académique la rattrape. Le directeur de l’ONG qui l’emploie alors l’encourage à mener un projet de thèse sur les spiritualités autochtones. Manéli Farahmand se lance. Désormais titulaire d’un doctorat en cotutelle entre les Universités de Lausanne et d’Ottawa, pour lequel elle a reçu le Prix d’excellence de la Société Académique Vaudoise pour sa thèse baptisée Néochamanisme Maya. Passé revisité, pouvoir au féminin et quête spirituelle (Éditions Antipodes), elle mène actuellement un post-doctorat au sein de l’Unité de sciences des religions du Département des sciences sociales de l’Université de Fribourg. «Mon travail est de vulgariser ces savoirs académiques pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Il ne sert à rien de rester dans l’entre-soi de la recherche. Ces connaissances scientifiques doivent servir la société. »
LES QUATRE QUESTIONS ALUMNIL
Votre lieu préféré à l’Université durant vos études ?
Zelig, après les cours. Mais aussi Fréquence Banane, un lieu en périphérie mais très bien intégré sur le campus. Durant mon doctorat, j’ai aussi beaucoup sillonné l’allée de Tilleuls qui mène au lac afin de m’aérer et de réfléchir.
Le cours/séminaire où vous retourneriez demain ?
Les cours d’histoire contemporaine de Sébastien Guex. Je les ai trouvé très formateurs. Sébastien Guex avait cette capacité à créer un véritable déclic dans le développement intellectuel. Celui de ne pas penser que tout va de soi. Il faut sans cesse questionner.
Il y a aussi les cours de la Professeure Irene Becci, «marginalités et altérités religieuses», excellents pour réfléchir sur la manière dont le champ religieux contemporain se structure face aux pouvoirs publics. Il était discuté des concepts de résistance, de déviance, de reconnaissance et de contre-culture, ainsi que des relations de pouvoir entre marginaux et établis.
Les cours de la Professeure Martine Ostorero, sur la « sorcellerie au Moyen-Âge ». Ils illustraient bien les processus de sectarisation/diabolisation de certains phénomènes magico-religieux, et la construction sociale de la déviance ou de l’exclusion. De manière générale, j’ai toujours été admirative des enseignant-es chercheur-ses qui se démarquent par le caractère engagé de leur recherche.
Votre devise préférée ?
« Done is better than perfect ».
Un conseil aux étudiants actuels ?
De multiplier les expériences associatives; de profiter de tout ce qui se propose dans le cadre d’un parcours académique. C’est-à-dire les expériences d’échanges, d’engagements, sportives. Ce sont des lieux où on développe une sensibilité par rapport à des expériences sociales et politiques. Ça permet de développer des savoir-faire. Le monde académique est celui où l’on devient autonome; où l’on développe son identité. Cette autonomie devient une vraie force dans le milieu professionnel.
Découvrez l’article dans le n°83 d’Allez Savoir!
Article de Mehdi Atmani (Flypaper)
Photo: Manéli Farahmand. Directrice du Centre intercantonal d’information sur les croyances. Doctorat de la Faculté de théologie et de sciences des religions (2018). © Damien Cerutti