Le regard pluriel sur les religions

Manéli Farahmand. Directrice du Centre intercantonal d’information sur les croyances. Doctorat de la Faculté de théologie et de sciences des religions (2018). © Damien Cerutti

Tout d’abord la pudeur à parler de soi. Puis la sensibilité à dénouer ses racines iraniennes. Docteure de la Faculté de théologie et de sciences des religions et directrice du Centre intercantonal d’information sur les croyances (CIC) depuis 2020, Manéli Farahmand porte en elle toute la richesse et la complexité de la mixité. 

Âgée de 36 ans aujourd’hui, la native de Téhéran migre en Suisse romande en 1989 avec ses proches. Au sein de ce cocon familial lettré, le thème de la religion, de son lien avec le politique et de l’appartenance au sens large, sont des sujets très discutés. «Nous avons grandi en Suisse dans une diaspora iranienne comprenant diverses minorités religieuses. Mon père est un scientifique, médecin. Proche du soufisme, ma mère est l’une des fondatrices de RECIF dans les années 90, le centre de rencontres et d’échanges interculturels pour femmes migrantes. Très tôt, du fait de ce bagage, j’ai questionné l’interculturalité.»

L’actualité iranienne, née du soulèvement de septembre 2022 contre le régime des mollahs, rattrape ses recherches et ses réflexions: «Je suis partagée entre un espoir de changement grâce aux mouvements sociaux, une admiration du courage des femmes et de toute la jeunesse qui militent dans l’espace public et beaucoup d’inquiétudes et de tristesse vis-à-vis de l’appareil répressif ainsi que de la violence déployée pour réfréner ces mobilisations. Dans ce contexte, le religieux est un facteur répressif.» Manéli Farahmand n’occupe pas le poste de directrice du CIC par hasard. Fondée en 2002 dans le sillage du drame de l’Ordre du Temple Solaire (OTS), cette fondation privée d’utilité publique s’est donné la mission d’informer de manière neutre afin d’améliorer les connaissances sur les mouvements religieux en Suisse et d’en prévenir les dérives, s’il y en a: «Il ne s’agit pas d’étudier la religion de manière autonome ou isolée. C’est un objet qui interagit constamment avec son environnement culturel et politique.»

Avant d’en arriver là, Manéli Farahmand fait ses premiers pas à l’UNIL, à la Faculté des lettres, où elle brigue un Master en histoire contemporaine, puis un Master interfacultaire. Mais la chercheuse a la bougeotte. Dans le cadre de sa spécialisation sur les phénomènes religieux marginalisés, elle s’immerge sur le terrain du Chiapas, au sud du Mexique, pour une recherche anthropologique. De retour en Suisse, elle poursuit sa carrière sur le terrain, dans diverses ONG actives sur les droits humains. 

L’académique la rattrape. Le directeur de l’ONG qui l’emploie alors l’encourage à mener un projet de thèse sur les spiritualités autochtones. Manéli Farahmand se lance. Désormais titulaire d’un doctorat en cotutelle entre les Universités de Lausanne et d’Ottawa, pour lequel elle a reçu le Prix d’excellence de la Société Académique Vaudoise pour sa thèse baptisée Néochamanisme Maya. Passé revisité, pouvoir au féminin et quête spirituelle (Éditions Antipodes), elle mène actuellement un post-doctorat au sein de l’Unité de sciences des religions du Département des sciences sociales de l’Université de Fribourg. «Mon travail est de vulgariser ces savoirs académiques pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Il ne sert à rien de rester dans l’entre-soi de la recherche. Ces connaissances scientifiques doivent servir la société. »

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