Un cheveu blond dans la soupe

Jocelyn Rochat, rédaction en chef

Le nez de Cléopâtre, «s’il eût été plus court», aurait pu changer la face du monde. C’est, du moins, ce que prétend la formule à succès de Blaise Pascal. Et pour ses cheveux, c’est la même histoire? Ce nouveau numéro d’Allez savoir! vous propose en effet d’imaginer très sérieusement la fantasmatique reine d’Égypte avec une crinière blonde.

Pour la plupart des lecteurs, la teinte des cheveux de Cléopâtre est un détail vaguement people d’une histoire très ancienne. Pour d’autres, notamment aux États-Unis où fleurissent de telles controverses, il y a là matière à faire des histoires. Car le passé se relit désormais dans une actualité où l’origine des grandes figures historiques comme la paternité de certaines pratiques culturelles se transforment très vite en champ de bataille sur les réseaux sociaux.

L’été dernier, ce sont des chanteurs de reggae suisses alémaniques qui ont dû se plonger dans des livres d’histoire pour sauver leurs dreadlocks. Après avoir été accusés d’appropriation culturelle, ces musiciens ont découvert que cette coiffe avait été portée avant Bob Marley, notamment par des pharaons et des reines d’Égypte 2500 avant J.-C., par des Vikings et aussi par des figures bibliques. 

Car si les rastas jamaïcains ont «laissé croître librement leur chevelure», ils ont été inspirés par le Livre des Nombres, dans l’Ancien Testament, et par l’histoire de Samson qui tirait sa force de ses cheveux, après avoir «fait le vœu que le rasoir ne passe pas sur sa tête». Ce chapitre peu connu de l’histoire de la chevelure nous rappelle que le passé est souvent plus métissé qu’on ne l’imagine. Comme l’histoire est un éternel recommencement, des critiques similaires se sont abattues sur Gal Gadot qui projette depuis quelques années d’interpréter Cléopâtre dans une nouvelle fiction consacrée à la reine d’Égypte. À son tour, l’actrice d’origine israélienne a dû faire face à des accusations d’appropriation culturelle. 

L’interprète de Wonder Woman s’est plongée elle aussi dans des livres d’histoire pour répondre à celles et ceux qui la trouvent trop méditerranéenne pour jouer une reine africaine. Et pourtant, comme vous le découvrirez peut-être dans ce numéro, la reine et pharaon Cléopâtre est née dans une famille où l’on se mariait entre Macédoniens depuis trente générations, ce qui faisait d’elle la reine grecque d’un pays d’Afrique. Là encore, on vérifie que le passé est plus métissé qu’on ne l’aurait imaginé.

Mais voilà, dans cette époque volontiers polémique, la connaissance historique n’est pas toujours au niveau de la virulence des échanges sur les réseaux sociaux. Ces polémiques à répétition inspirent deux réflexions. La première, c’est que quand le passé devient aussi présent, les historiens doivent s’attendre à jouer souvent les arbitres. La deuxième, c’est que la lecture de livres d’histoire ou le visionnement de documentaires sérieux devrait être un préalable indispensable avant de batailler au sujet de tel personnage historique ou telle pratique culturelle. Car l’Histoire nous propose suffisamment de cas réellement problématiques pour ne pas nous arracher les cheveux sur des exemples mal choisis. /

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