Adieu Berthe

Y’en a point comme nous. C’est le slogan, la devise, la caricature des Vaudois depuis 1947, depuis que Jean Villard Gilles a transformé cette expression en refrain populaire. Sans préciser qui est ce «nous», puisqu’il s’agit évidemment de «nous tous». Plus sérieusement, la question de savoir qui étaient ces Vaudois mémorables s’est posée cette année, dans un canton qui commémore les 300 ans de la mort du major Davel, l’un des noms les plus souvent avancés avec la reine Berthe, le général Guisan, Ramuz et Gilles.

Comme le montre cette liste resserrée, on est loin de l’ «épéclée de bons types» qui pourraient justifier ce «Y’en a point comme nous». Ce problème d’incarnation n’est pas nouveau. Il s’est déjà posé dans les années 1790-1800, quand le Pays de Vaud s’est émancipé de Leurs Excellences de Berne. Le jeune canton rejoignait alors la Suisse moderne. Il se cherchait déjà un récit, une histoire et des légendes, bref, des noms propres pour accompagner cette affirmation nouvelle, ce «nous, les Vaudois».

Parmi les figures historiques qui émergent, il y a le major Davel, et aussi la reine Berthe. 200 ans plus tard, il faut bien admettre que cette étoile a bien pâli. Les années 2020 sont celles de la déconstruction des légendes, et à ce jeu, la souveraine de Bourgogne est une cible facile. Notamment parce que son histoire a été embellie par un épisode emprunté à une homonyme italienne, comme vous le découvrirez en page 54 de ce magazine.

Si Berthe retombe progressivement dans l’oubli, c’est aussi parce qu’il est difficile de s’identifier à une reine du Xe siècle, célèbre pour son filage et ses bonnes œuvres. Pour expliquer ce choix, qui était aussi incongru au moment où les Vaudois écrivaient «Liberté» sur leur drapeau, un spécialiste de l’UNIL rappelle ici que «la concurrence n’était pas énorme». En substance, et pour revenir à Gilles, «Y’en avait point tant comme elle».

Heureusement pour l’amour-propre des Vaudois que l’Histoire est sans cesse réécrite. L’une des tendances du moment consiste justement à proposer de nouvelles figures, plus conformes à l’air du temps, pour remplacer les idoles déconstruites. Dans cet exercice, deux autres personnalités vaudoises peuvent émerger. La première profitera peut-être du regain d’intérêt pour le 12 septembre 1848, date de la première Constitution suisse, qui a été proposée pour devenir une deuxième fête nationale. C’est le révolutionnaire radical Henri Druey, qui est l’une des figures marquantes de cette période. 

Une autre tendance de la recherche actuelle consiste à retrouver dans le passé des Vaudoises dont le rôle a été sous-estimé. Ce courant s’intéressera forcément, non pas à Berthe, mais à sa fille Adélaïde, qui fut impératrice et sainte, et dont la vie aventureuse correspond davantage à l’idée qu’on se fait d’une personnalité marquante au XXIe siècle.

La dernière piste, à une époque où l’on célèbre les humoristes, serait de rappeler que l’expression «Y’en a point comme nous» est née bien avant Gilles, et qu’elle devait être comprise comme de l’humour et de l’autodérision*. Ce qui règle la question de savoir qui incarne le mieux les Vaudois. Là, c’est clair, y’en a point comme Oin-Oin. /

*C’était dans le numéro 49 d’Allez savoir!, en novembre 2010. 

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