Frag mi niid, j’comprends pas!

Jocelyn Rochat, rédaction en chef

Il fait bon se réjouir du malheur des autres, surtout des Suisses allemands. C’est, en tout cas, la recette qui a ramené les Romands dans les salles de cinéma en 2024. En témoigne le triomphe du film Ciao-ciao Bourbine. Bon Schuur Ticino, dans la langue de Stephan Eicher, a attiré plus de 65 000 francophones dans les salles obscures. Tout cela avec un scénario rocambolesque, qui imagine que les Alémaniques sont obligés de renoncer au Schwyzerdütsch en public, après le succès inattendu d’une initiative «No Bilingue» qui impose le français comme seule et unique langue nationale.

 65 000 Welsches qui gloussent quand les Bourbines s’embourbent… Pourquoi tant de Schadenfreude? Ce mot allemand, qui désigne la capacité à se réjouir du malheur d’autrui, est l’un des rares à avoir passé le Röstigraben pour être couramment utilisé en français. Ce sentiment explique en grande partie ces audiences extraordinaires, fondées sur des souvenirs scolaires douloureux. En Suisse romande, bon nombre d’anciens élèves n’ont pas oublié ces années d’école obligatoire à souffrir sur leur Wortschatz et à ânonner des accords du datif et du génitif. Ils sont tout aussi nombreux à se souvenir de leur premier voyage Outre-Sarine, quand ils ont découvert que ces efforts n’avaient servi à rien, parce que nos voisins «ne parlent pas le bon allemand».

Le problème, c’est que le malentendu progresse. Parce que les Alémaniques parlent de plus en plus en dialecte, même s’ils ne s’en vantent pas. Et parce que les frontières avec la Suisse alémanique sont de plus en plus perméables. Dans de nombreuses entreprises, les échanges avec des collègues «bourbines», ou, pire encore, avec des chefs zurichois, sont de plus en plus fréquents. Dans cette nouvelle normalité, comprendre le Schwyzerdütsch, et, encore mieux, pouvoir le parler, devient un avantage sur un CV, un atout dans une carrière.

 À ce stade, ce numéro d’Allez savoir!  apporte une bonne nouvelle. Les Welsches ont des aptitudes insoupçonnées pour le dialecte (lire l’article), et ce n’est pas le dernier witz d’Emil. Les enseignants de l’UNIL qui enseignent le Schweizerdeutsch, l’allemand des Suisses, racontent que les Romands qui s’y risquent font des progrès rapides. Parce qu’ils ont appris beaucoup plus de choses à l’école qu’ils ne l’imaginent.

Le problème, dès lors, serait de trouver la motivation. Elle peut venir du monde du travail, où il est important de pratiquer le small talk avec ses collègues, ce que les Alémaniques font en dialecte. La motivation peut aussi venir de la culture, puisque, là encore, les frontières avec la Suisse alémanique sont de plus en plus poreuses. Outre le succès du film Ciao-ciao Bourbine, on entend désormais les tubes du groupe bernois Züri West à des heures de grande écoute, sur RTS La Première. Et puis, à une époque où nous regardons des séries norvégiennes ou coréennes en version originale sur Arte, nous avons encore été nombreux à suivre la comédie policière Tschugger sur RTS, même si les personnages y parlent en dialecte haut-valaisan. C’est une porte d’entrée parmi d’autres. Elle vous permettra peut-être d’entendre prochainement un compatriote vous féliciter d’un mélodieux: Jaaaa, s geit jaaa, du bisch es Naturtalent.*/

* Ouii, ça va tip-top, tu as un talent naturel!

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