Pédiatre d’ici et d’ailleurs

Michel Roulet. Diplôme de médecine en 1972 et doctorat en 1988. Chez lui, au Mont-sur-Lausanne. © Pierre-Antoine Grisoni?/?Strates
Michel Roulet. Diplôme de médecine en 1972 et doctorat en 1988. Chez lui, au Mont-sur-Lausanne. © Pierre-Antoine Grisoni/Strates

Ça et là, quelques témoignages de sa vie de retraité: un bac à sable, une piscine pour enfants qui se remplit gentiment. «Nous nous occupons souvent de nos trois petites-filles», confie Michel Roulet, ancien médecin-chef de l’Unité de nutrition clinique du CHUV. Tranquillement installé dans un fauteuil en rotin de son magnifique jardin, le pédiatre spécialiste en gastroentérologie revient sur sa longue carrière jalonnée de quelque quarante-cinq séjours humanitaires dans près de trente pays.

Mauritanie, 1983
Sa première mission. Il sourit. «Je ne risque pas de l’oublier… J’ai fait une fièvre typhoïde. On m’a rapatrié en Suisse dans le coma!» s’exclame-t-il avec un franc-parler qui peut amuser. C’est qu’il a tendance à ruer dans les brancards. «Mon père, petit commerçant, et moi n’avions pas du tout les mêmes idées. Il fallait que je me tire de la baraque pour conserver ma liberté de penser.»

Cadet d’une fratrie de quatre enfants, Michel Roulet quitte son Peseux (NE) natal pour étudier les mathématiques à l’EPFZ, mais arrête après trois semestres. «J’ai toujours voulu être médecin mais n’avais jamais fait de latin, ce qui était obligatoire.» En huit mois, le scientifique repasse la maturité. «A force d’apprendre par cœur dix heures par jour, j’avais une mémoire à tout casser.» Les études de Médecine? Faciles! Après une première année à Neuchâtel, Michel Roulet rejoint Lausanne pour terminer son cursus en 1972. Il se forme en pédiatrie au CHUV, ainsi qu’en gastroentérologie et nutrition au Canada de 1977 à 1980. Un séjour où son épouse, rencontrée à l’adolescence, sa fille aînée, handicapée mentale, et son fils le suivront. De retour au CHUV, il crée l’Unité de gastroentérologie pédiatrique. Notre hôte jette un coup d’œil furtif à la piscine qui se remplit toujours.

Père Castor
Durant sa carrière, le pédiatre effectue régulièrement des missions pour le Corps suisse d’aide humanitaire. Depuis sa retraite à la fin de 2007, il travaille bénévolement pour l’association Terre des hommes. «Je suis encore parti en Guinée l’année dernière durant la crise Ebola. 2016 est ma première vraie année de retraite.» Quoique… A 71 ans, il a mis sur pied un CAS (Certificate of Advanced Studies) en Santé materno-infantile dans les crises humanitaires, donné pour la première fois en janvier dernier.

Intarissable, Michel Roulet évoque tour à tour le Sri Lanka, le Soudan, Gaza, le Mali, le Rwanda, Sumatra et Haïti, où il a séjourné à plus de dix reprises. Ses récits, aussi dramatiques que rocambolesques, appellent à la réflexion sur la manière d’envisager sa propre relation à l’autre et, surtout, la médecine à l’occidentale. «Il faut sortir de cette vision curative, totalement stupide, et adopter une approche beaucoup plus large de la santé, se focaliser sur la population survivante et la prévention. Ce dont les gens ont besoin après une catastrophe, c’est avant tout de sécurité. Les soins ne sont que secondaires.»

«Ça coule!» lance subitement son épouse. Après plus de trois heures d’interview, la piscine finit par déborder et vient mettre un terme à ces fascinantes histoires de vie.


LA VIE A L’UNIL EN 4 QUESTIONS

Votre lieu préféré à l’Université durant vos études ?
J’ai fait ma première année de Médecine à Neuchâtel et suis arrivé à Lausanne en 1967. Dorigny n’existait pas encore, nos cours avaient lieu exclusivement sur la colline de la cité hospitalière du CHUV. J’ai habité dans la Maison des étudiants des Falaises durant quatre ans et garde un souvenir extraordinaire de ce lieu de vie. J’y ai rencontré des personnes issues de toutes les facultés et de toutes les cultures… La première fois que je côtoyais des gens venant d’ailleurs. Je crois qu’avant cela, j’avais peut-être aperçu un «demi-Noir» ! Mon meilleur ami était Turc et l’étudiante qui vivait dans la chambre voisine était Iranienne. J’ai enfin compris la différence entre une pistache et une cacahuète (rires).

Je me souviens surtout du ramadan. Je voyais mes amis musulmans manger comme des fous au coucher du soleil. Notre cuisine était transformée en véritable usine et l’ambiance était incroyable ! Je côtoyais cette religion et cette culture pour la première fois. Un derviche tourneur m’a initié à ce mode de pensée. Cet endroit reste le plus beau souvenir de mes études, car c’est là que je me suis réellement ouvert à l’autre.

Le cours/séminaire où vous retourneriez demain ?
Certains professeurs étaient vraiment hors du commun et m’épataient. Georges Winckler était capable de passionner les étudiants avec son enseignement de l’anatomie. Il dessinait simultanément un genou avec la main droite et une épaule avec la main gauche. Le tout avec une précision affolante ! Du coup, les cours allaient deux fois plus vite… Nous avions un profond respect pour ce professeur, très proche de ses élèves.

Votre devise préférée ?
Les devises ne reflètent pas vraiment mon mode de pensée… Mais si je devais en citer une ce serait «Ne fais pas à l’autre ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse». Quand je vais sur le terrain (Michel Roulet a effectué quelque quarante-cinq missions humanitaires dans près de trente pays, ndlr) et que je vois les Occidentaux se précipiter dans tous les sens, j’essaie de m’arrêter et de prendre du recul. Je n’aimerais pas voir des Mauritaniens débarquer au Service de néonatologie du CHUV avec leurs chameaux, leurs tentes et leur tas de sable pour nous dire comment travailler !

Un conseil aux étudiants actuels ?
Quittez les fruits pourris. Quand vous avez une pomme qui se décompose, elle contamine tout le plat. Si vous avez un supérieur que vous ne supportez pas, qui n’est pas en adéquation avec vos idées ou vos valeurs, allez voir ailleurs ! J’ai toujours cherché un patron ou un prof pour qui j’avais du respect et de l’admiration. Dès que je sentais que la personne allait me corrompre, je me tirais. Je n’ai par exemple jamais pu travailler avec un supérieur «friquiste». Il faut être en accord avec son formateur, c’est la seule manière de rester intègre.

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