L’ «extime» désigne le dévoilement au public de pans d’intimité sublimés. On retrouve cette notion autant dans les textes d’auteurs contemporains que sur les réseaux sociaux. Explications de Violeta Mitrovic, doctorante en lettres à l’UNIL, qui consacre sa thèse à l’écriture de soi.
Quel est le point commun entre un livre d’autofiction racontant une rupture amoureuse et une photo de vacances sur Instagram? On retrouve dans ces deux productions personnelles le concept d’extime. Un mot utilisé «lorsque l’auteur d’un contenu cherche au plus profond de lui un aspect de son intimité et en fait un objet esthétique, partageable. Il transforme un vécu personnel authentique en une expérience presque universelle afin de créer des liens avec le lecteur ou le spectateur», résume Violeta Mitrovic, doctorante à la Section de français à l’UNIL et assistante à la Haute École pédagogique du canton de Vaud.
Loft Story dans le viseur
L’extime tire son origine étymologique du superlatif latin extimus, qui peut se traduire par «placé à l’extrémité, le plus éloigné», par opposition à intimus. Il est à la fois le contraire de l’intime et son double, «car ils sont en interaction», précise la chercheuse. Elle a utilisé comme point de départ pour sa thèse, dirigée par le professeur Antonio Rodriguez, la notion d’extime telle que traitée par le psychologue et psychanalyste Serge Tisseron, lorsqu’en 2001, il analysait le phénomène de téléréalité française Loft Story. L’extime est compris ici comme «la création d’un espace de partage autour de l’intime, soit un mouvement poussant chacun à dévoiler une partie de sa vie intime, dans une volonté de se dire pour autrui.» Un constat applicable aux pratiques sur la Toile, avec les blogs personnels, les stories et autres posts sur Instagram et Facebook, où l’on observe une forme de sublimation du quotidien.
«Dans ma thèse, j’ai recours à la notion d’extime pour évoquer un courant de littérature contemporaine autobiographique, à l’ère du numérique», explique Violeta Mitrovic. «Ces écrits abandonnent la chronologie de la vie, que l’on retrouve dans les autobiographies “classiques”, pour en décliner un épisode ou un aspect, spécifiquement liés à une expérience authentique.» L’universitaire s’est constitué un corpus littéraire basé dans un premier temps sur des auteures féminines racontant leur corps ou leur sexualité, dont Catherine Millet et son ouvrage qui avait fait scandale en 2001, La vie sexuelle de Catherine M.
Se soigner par les mots
Au fil de ses recherches, la doctorante s’est rendu compte que d’autres thématiques que la sexualité étaient également abordées «façon extime», comme les relations humaines et les traumas les plus intimes. Elle évoque notamment les auteurs Camille Laurens et Philippe Forest, qui respectivement, dans Philippe et L’enfant éternel, décrivent en profondeur le deuil d’un enfant. «En s’écrivant, ces auteurs cherchent une forme de réparation de soi. Ils s’évertuent à trouver les mots justes pour dire la douleur, qu’ils abordent de manière esthétisante en ouvrant précisément un espace interstitiel de partage autour de l’intime», analyse Violeta Mitrovic.
La chercheuse établit le lien entre ce courant littéraire et l’ère des réseaux sociaux. Notamment par le biais de la notion de posture, développée par le professeur Jérôme Meizoz, de la Faculté des lettres. Un écrivain aujourd’hui possède une part médiatisée. Le public peut lui demander des comptes sur ce qu’il écrit, surtout s’il s’agit d’autobiographie ou d’autofiction. «Il existe une véritable fascination autour de l’extime, souvent accusée de nombrilisme», rapporte Violeta Mitrovic. Si elle admet que certaines productions relèvent de l’exhibitionnisme, elle avance le fait que les productions extimes traduisent un besoin identitaire, propre à notre société de consommation et de vitesse.