Le retour des frontières

Jocelyn Rochat, rédaction en chef
Jocelyn Rochat, rédaction en chef

Avant, quand un politicien américain nous parlait d’une «nouvelle frontière», c’était pour nous proposer d’aller sur la Lune en fusée. A cause de John F. Kennedy et de son fameux discours de juillet 1960, où le futur président a lancé le programme Apollo en expliquant que «nous sommes devant une Nouvelle Frontière, que nous le voulions ou non. Au-delà de cette frontière, s’étendent les domaines inexplorés de la science et de l’espace, des problèmes non résolus de paix et de guerre, des poches d’ignorance et de préjugés non encore réduites, et les questions laissées sans réponse de la pauvreté et des surplus.»

Mais aujourd’hui, quand Donald Trump parle de frontière lors de l’élection présidentielle américaine, c’est pour construire un mur entre les Etats-Unis et le Mexique, pour fermer la porte aux musulmans criminels et pour expulser les immigrés illégaux. Bref, c’est le grand retour sur terre.

Trump n’est d’ailleurs pas le seul à remettre sur la table ces questions de voisinage. Lors de la campagne présidentielle américaine, mais dans le camp d’en face, Bernie Sanders a très durement challengé Hillary Clinton en proposant des politiques plus isolationnistes à des électeurs qui ont perdu leur emploi à cause des délocalisations, ou qui ont vu leurs économies et leurs maisons partir en fumée durant la crise financière. Au grand étonnement des commentateurs, ces arguments ont trouvé un écho auprès des citoyens, puisque le «frondeur» Sanders comme le «populiste» Trump ont séduit bien plus d’Américains qu’on l’avait imaginé, comme vous le lirez dans ce magazine.

Un nouveau clivage en politique oppose ceux qui rêvent d’un pays fermé à ceux qui préfèrent un pays ouvert.

Cette présidentielle américaine n’est d’ailleurs pas la seule à se jouer sur ces thématiques. A ce stade, «la mondialisation heureuse» reste une promesse, et des politiciens de tous pays relancent le débat sur le degré d’ouverture des frontières qui serait préférable pour leur Etat. Cette question, que l’on avait pu croire tranchée à l’heure européenne, divise les grands partis traditionnels de nombreuses nations où l’on s’écharpe désormais sur des sujets comme la place de l’islam, les migrants, la criminalité étrangère, la mendicité, le nombre des frontaliers, les avantages ou les inconvénients de Schengen, la tentation du Brexit, etc.

La nouveauté, c’est que ces débats frontaliers divisent désormais les militants à l’intérieur même des partis traditionnels. A tel point que l’on assiste à l’émergence d’un nouveau clivage en politique, différent de la fracture classique «gauche/droite». Il oppose ceux qui rêvent d’un pays «fermé», où l’on reprendrait le contrôle des frontières, à ceux qui préfèrent un pays «ouvert».

A ce stade, une certitude. Ces débats fratricides vont faire des dégâts. Aux Etats-Unis, Donald Trump a plongé les Républicains dans la confusion. Et en Autriche, les partis traditionnels, qu’ils soient de gauche ou de droite, ont perdu l’élection présidentielle qui s’est jouée entre un écologiste et un nationaliste. L’avenir nous dira si les Autrichiens et Donald Trump annoncent la tendance, mais, que nous le voulions ou pas, ces questions vont nous poursuivre dans les années qui viennent.

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