Les règles du jeu ont été dynamitées. Après avoir révélé plusieurs de nos fragilités, le coronavirus a aussi révolutionné notre pratique des technologies numériques. Il est devenu un game changer, comme disent les Anglo-Saxons, un «bouleverseur» de son époque.
Jamais, jusque-là, nous n’avions autant compté sur l’informatique. Pandémie et confinement obligent, nous avons transformé nos appartements en succursales du bureau et des écoles. Les ordinateurs portables et autres smartphones ont fait office de nouveaux périscopes, indispensables pour garder le contact avec l’extérieur.
La connexion wifi a pris une importance totalement inédite, que ce soit pour le télétravail, les vidéoconférences, les MOOCs, les «coronapéros» en ligne ou les séries TV que nous avons massivement visionnées sur Netflix et sur Disney+, sans oublier ces câbles qui ont été tirés un peu partout, pour alimenter en énergie cette surdose de numérique. Enfin, nous avons délocalisé nos achats sur Amazon, Galaxus, Zalando, LeShop et Coop@home, quand il ne s’agissait pas de récupérer des plats à l’emporter via des plateformes virtuelles comme Uber Eats et autres Just Eat.
Pourtant, cette ruée sur le numérique ne s’est pas accompagnée du recul critique qui devrait logiquement découler d’une meilleure connaissance de ces nouveaux outils. Et puis, par son omniprésence médiatique, le coronavirus a aussi contribué à atomiser quelques nouvelles d’actualités qui auraient pu lancer le débat sur les effets collatéraux de ces béquilles technologiques.
Ainsi, en février 2019, le Parlement européen a demandé poliment (la résolution est non contraignante) et dans l’indifférence générale aux différents fabricants de téléphonie mobile de s’entendre pour produire un chargeur unique qui soit compatible avec tous les smartphones, quelles que soient leurs marques, histoire de mettre un terme à la pollution qui découle de la situation actuelle. L’UE estime en effet que les cordons obsolètes de nos différents appareils électroniques constituent une pollution de quelque 51000 tonnes de câbles, chaque année en Europe.
C’est un exemple parmi d’autres du gaspillage gigantesque et de la pollution massive qui sont déjà provoqués par l’industrie numérique, qui n’a de virtuelle que le nom, puisqu’elle génére des déchets bien réels. C’est un exemple parmi d’autres des bugs que l’on rencontre dans cette industrie très rentable, mais qui se révèle également «peu vertueuse», comme l’explique une professeure de l’UNIL dans ce numéro.
Pourtant, ces informations, et bien d’autres du même acabit, comme cette étude qui montre que le bilan carbone annuel de la seule entreprise Amazon (avant le coronavirus) équivalait à brûler 600 000 camions-citernes d’essence, n’ont pas déclenché le débat qu’elles méritent sur le rôle des entreprises numériques dans les changements climatiques. Apparemment, l’urgence n’est pas la même pour tous. À l’heure où la plupart des secteurs industriels, de la finance à l’agriculture, en passant par les joueurs de tennis, sont tous sommés d’améliorer leur bilan carbone, il est incompréhensible que le numérique échappe à cette mise à jour. /