La librairie, une institution inclassable

Entreprise culturelle ou simple commerce? Quand on parle de librairie, il est impossible de trancher tant les deux aspects sont liés. Exigeante et complexe, cette ambivalence constitue l’un des fils rouges de l’ouvrage que l’historienne de la culture Carine Corajoud consacre à La librairie, un univers en mutation. Une analyse minutieuse et fouillée qui prend appui sur le cas de l’entreprise familiale Payot (1877-1986). 

«Le terme de “ librairie ” a recouvert des réalités différentes au cours de l’histoire», nous rappelle l’auteure dans son introduction. Sous l’Ancien Régime, par exemple, il désignait l’activité d’un artisan qui se chargeait aussi bien de la production des ouvrages que de leur diffusion, voire de leur impression. Les libraires-éditeurs proposaient alors aux acheteurs leurs propres fonds et ceux de confrères acquis par le biais du troc. La séparation entre la vente et l’activité éditoriale s’est imposée peu à peu. Longtemps toutefois, la librairie reste «un commerce lettré, marqué par l’identité et la personnalité des libraires qui, le plus souvent, entretiennent des liens de proximité avec les élites intellectuelles de leur ville». La concurrence des grands magasins et des kiosques de gare, l’explosion de la production de livres dès les années 50, poussent ces boutiques souvent sombres et encombrées à se réinventer, notamment en adoptant le libre-service. 

L’histoire de la maison Payot, que l’on suit ici à travers un siècle, est exemplaire de cette évolution. La première génération (1877-1906), celle de l’essor, s’appuie essentiellement sur l’édition. L’expansion et la diversification des activités viennent ensuite, puis la pérennisation avec, en 1970, la création d’un secteur indépendant de diffusion. En 1986, à la quatrième génération, l’entreprise est vendue. On connaît la suite. 

L’auteure se penche sur différents aspects parfois pittoresques de l’histoire de la librairie. Elle mentionne la jupe longtemps imposée aux vendeuses ainsi que le gros meuble dans lequel étaient relégués les livres érotiques. Elle relève que le bonheur de vivre entouré de livres était censé compenser les salaires souvent très bas des libraires. Elle analyse l’architecture et les différents dispositifs de vente de ces palais de bois ou de métal. Avant de conclure, elle relève les nouveaux enjeux et défis qui se profilent aujourd’hui, liés à la révolution numérique et au commerce en ligne. Mais cela, c’est une autre histoire. Qui reste à écrire. / MD

La librairie, un univers en mutation. Histoire de la Librairie Payot (1877-1986). De Carine Corajoud. Antipodes (2021), 380 p.

La «désextinction», qui consiste à tenter de recréer des espèces éteintes, nous est désormais familière grâce à Jurassic Park. Quelle est la part de rêve et de réalisable dans cette idée? Est-elle seulement raisonnable, alors que sous l’influence humaine, la biodiversité actuelle est menacée? Nourri de nombreux exemples, cet ouvrage clair et nuancé traite aussi bien des aspects techniques, liés à la génétique, que des questions plus fondamentales sur notre rapport à la nature que ces projets de «résurrections» comportent. /DS

Faire revivre des espèces disparues ? Par Lionel Cavin et Nadir Alvarez. Favre (2022), 198 p.

L’appareil photo et l’horloge possèdent un point commun: «mettre le temps en boîte». Cet ouvrage collectif, publié à l’occasion d’une exposition en cours à Vevey, explore de nombreux aspects du rapprochement de deux mondes. Par exemple, dès l’entre-deux-guerres en Suisse, plusieurs horlogers vont se diversifier dans la fabrication d’appareils photo ingénieux, présentés dans le livre. Indispensable aux compétitions sportives, le développement du photofinish (ou «l’image comme chronomètre») constitue un autre aspect intéressant des noces de l’image et du temps. /DS

Photographie et horlogerie sur le site LabeLettres

Photographie et horlogerie. Sous la dir. de Luc Debraine et Olivier Lugon. Infolio (2022), 154 p.

Il y a du suspense dans la trame pourtant simple de ce roman ; de l’intime et du collectif dans ces histoires de vies qui se croisent de loin, ou se rapprochent sans que la distance profonde entre les êtres ne soit jamais comblée. On veut savoir ce qu’il advient de chacun et on avance rapidement, mais comme dans un brouillard que l’on craint un peu de voir se dissiper. C’est l’histoire d’un jeune prêtre dans les années 60 et d’une adolescente à qui sera volée une partie de sa vie. C’est aussi l’histoire collective de la maltraitance infantile dans un contexte helvétique. /NR

Le Chemin des limbes. Par Frédéric Lamoth. Bernard Campiche Éditeur (2021), 137 p.

Ciel, cet acronyme éminemment poétique désigne le Centre interdisciplinaire d’étude des littératures de l’Université de Lausanne. Ciel!, c’est aussi le titre de l’ouvrage collectif issu de dix contributions de son colloque inaugural consacré, en octobre 2018, à l’espace du ciel et aux thématiques qui lui sont liées. Au menu, un envol avec Icare, Dédale et d’autres hommes-volants, une halte chez Primo Levi, un plongeon dans le space opera et un atterrissage en douceur dans l’écriture translingue. De quoi papillonner à sa guise, entre étoiles et nuages. /MD

Sur le site LabeLettres

Ciel ! Regards croisés sur un espace commun entre les littératures. Éd. par Joëlle Légeret et Olivier Thévenaz. Études de lettres, UNIL (2021), 228 p.

Sur les traces de Grace, disparue mystérieusement, le narrateur parcourt son passé. La visite de la maison de son enfance, «Le Clos», lui rappelle des souvenirs familiaux. Les pensées violettes du jardin sont liées à sa mère, les objets rangés dans la grange lui font penser à son père, qui ne jetait rien. Le titre de ce roman bref et nostalgique, Roches tendres, renvoie à la molasse, ce matériau de construction sensible aux éléments. «Tout, à la fin, tient en quelques mots.» Il n’y en a pas un de trop dans ce texte de Julien Burri, qui évoque l’érosion des choses avec finesse. /DS

Roches tendres. Par Julien Burri. Éditions d’autre part (2021), 95 p.

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