Rencontre avec Carole Maigné autour de quelques figures germaniques qui n’ont pas fini d’alimenter le débat au sujet de la culture.
Des grands-parents résistants lui ont donné le goût… de la langue et de la culture allemandes. La Française Carole Maigné a-t-elle fait du zèle (son père aussi avait appris l’allemand) au point de devenir germaniste? Dans cette famille, la réconciliation européenne n’était pas un vain mot. La jeune femme a consacré sa thèse au philosophe Johann Friedrich Herbart (1776-1841), l’un des inventeurs du seuil de conscience et de la psychologie des profondeurs…
« Herbart pense après, donc aussi à partir et contre Kant », dit-elle. Mais c’est à l’idéalisme allemand développé par Fichte, Schelling et Hegel que Herbart va résolument s’opposer. Sa rencontre avec le mathématicien praguois Bernard Bolzano engendre «une conjugaison étonnante qui devient une machine de guerre contre l’idéalisme allemand», décrit Carole Maigné. Des mouvements révolutionnaires inspirés de Kant et de Hegel agitent alors l’empire austro-hongrois et la pensée de Herbart fait fortune dans ce contexte. Carole Maigné ne veut pas perdre une miette de ces débats et son intérêt pour la philosophie allemande des XIXe et XXe siècles lui fait embrasser du même coup la philosophie autrichienne.
Son dernier livre en date porte sur la tradition herbartienne dans l’histoire de l’art autrichienne. «Ce sont des gens qui réfléchissent à la question du style et des formes, à la manière dont un motif peut se transmettre et se transformer si bien qu’il ne reflète pas son temps, ce qui est banal, mais qu’il comporte une lo-gique propre indépendamment de l’époque», esquisse-t-elle.
Arrivée en 2015 à la Faculté des lettres, où elle développe les pôles de l’esthétique et de la philosophie de la culture, Carole Maigné dirige en ce moment la section de philosophie et prépare avec ses collègues un nouveau cours d’histoire de la discipline. Elle vient d’animer un séminaire sur l’ontologie de l’image photographique à partir des textes d’André Bazin, Pierre Bourdieu et Roland Barthes. Mais l’Allemagne n’est jamais loin avec un projet sur le sociologue Siegfried Kracauer, qu’elle montera avec des collègues en sections d’allemand et de cinéma à l’automne prochain.
On ne peut pas parler de Carole Maigné sans évoquer sa passion pour Cassirer (1874-1945), dont la vision émancipatrice s’oppose à l’idée d’un homme jeté dans le monde, développée par son cadet Heidegger, philosophe qu’elle abandonne à d’autres. «Un fameux débat évoquant le statut de la liberté à partir de Kant les a réunis en 1929 à Davos et on dit que Cassirer l’aurait perdu», raconte-t-elle. Bien entendu, elle n’est pas d’accord. Elle précise en passant que Cassirer avait physiquement une tête de plus que Heidegger…
Impossible d’échapper au trou noir du nazisme avec de tels auteurs. «Sans cesse menacés de non-appartenance, les penseurs judéo-allemands ont développé un regard acéré sur la culture», souligne-t-elle. Si elle s’intéresse à la critique d’un rationalisme potentiellement monstrueux, elle veut croire, comme Cassirer et Kant, à la raison. «Cassirer voit dans le mythe une forme de rationalité non scientifique mais qui néanmoins permettait d’organiser le monde. Tel le retour du refoulé, le mythe peut revenir dans l’activité rationnelle, aujourd’hui comme hier», prévient Carole Maigné. Elle-même se sent «profondément européenne» et sonde le passé pour comprendre le présent «avec cet écart que permet la double distance du temps et des textes ». Nadine Richon
Un souvenir gustatif
Il y en a tant! La gourmandise…
Un lieu de goût
Le poisson cru au Japon.
Un compagnon de table
Musil pour retrouver la Cacanie (nom donné à l’empire austro-hongrois joyeusement déliquescent…)