Notre XXIe siècle n’a pas inventé les insultes. Dans ce domaine, une grande créativité a régné pendant le Moyen Age britannique. La scatologie ou les allusions sexuelles choquaient moins que la calomnie ou le blasphème.
Pleutre impotent! Mioche mal foutu! Les injures du titre de cet article figurent dans un poème du Moyen Age tardif écossais, The Flyting of Dunbar and Kennedy. Si le sens exact de ces grossièretés reste mystérieux, leur sonorité est délicieuse (il convient de rouler le «R»). Et pour cause.
«Ce texte est un exemple célèbre de flyting, une joute oratoire présentée en public. A cette occasion, les adversaires démontraient leur inventivité en s’insultant. Cette tradition d’origine nordique fut vivace en Irlande et en Ecosse» explique Mary Flannery, maître-assistante en Section d’anglais. A l’UNIL, cette chercheuse a donné plusieurs cours sur les jurons et les obscénités au Moyen Age britannique.
Alors, les gros mots «étaient ressentis différemment. Des termes comme cunt, shit ou fuck faisaient partie d’un langage de bas niveau certes, mais sans être très offensants. Nous possédons la trace de noms de famille qui comportent cunt (con). C’était descriptif!» Les Contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer (v. 1340 – v. 1400) sont peuplés de grossièretés et nous renseignent sur les différents et riches argots en vigueur.
Injures et injuries
Les choses changent vers le début du XVIe siècle. Lors de procès, «les avocats de personnes invectivées ont joué sur les blessures émotionnelles ressenties par leurs clients», détaille Mary Flannery. Ainsi, dans un cas, un homme de loi a indiqué que l’accusé «a vomi son discours injurieux de la manière la plus venimeuse».
Des centaines de documents légaux narrent ces querelles. Bien que rédigés en latin, ils mentionnent les insultes telles quelles, en anglais. Ainsi, dans le diocèse de Chichester, en 1507, un homme en a traité un autre de «bâtard de prêtre» (horson prest en VO de l’époque).
Comme aujourd’hui, la diffamation et la calomnie étaient des délits plus sérieux. En se basant sur des cas documentés, Mary Flannery donne l’exemple récurrent d’un aubergiste accusé d’allonger sa bière avec de l’eau. En conséquence, il perdit des clients et se lança dans un procès contre les mauvaises langues. Ces dernières durent payer une amende au commerçant, en manière de dédommagement. Toutefois, une défense possible consistait à dire que la rumeur faisait partie du savoir commun: «Tout le monde le dit, pas seulement moi!»
L’un des ragots classiques revenait à dire que tel homme avait une maladie contagieuse ou qu’il était proxénète, donc de faible moralité. Mauvais pour les affaires. Les femmes étaient accusées de se prostituer, ce qui ruinait leurs perspectives de mariage. «Ce type de calomnie a donné lieu à des procès», relève Mary Flannery.
Le blasphème était une tout autre affaire. «Une exclamation comme By God’s bones choquait et pouvait vous valoir des ennuis avec l’Eglise», note la chercheuse. Ce qui n’a pas empêché la production de satires dans lesquelles les moines sont accusés de tous les maux, de la fornication à l’alcoolisme. Enfin, insulter le meunier du coin ou la Couronne, ce n’est pas pareil. «Le texte juridique Scandalum magnatum de 1275 influença le Statute of Treasons, une loi de 1351. Les paroles perçues comme menaçantes pour le roi, la reine ou leurs héritiers furent considérées comme des crimes. L’interprétation de ces textes devint de plus en plus large avec le temps.» Et là, notamment sous Henry VIII (1491-1547), ces quelques mots de trop pouvaient conduire à l’échafaud.
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