Se changer soi-même pour changer le monde

Face à l’urgence écologique, l’écospiritualité invite à une « transition intérieure »

En avril 2017, un week-end sur l’écospiritualité avait lieu à l’Institut oecuménique de Bossey. Organisé sur l’initiative de Michel Maxime Egger, responsable du Laboratoire de transition intérieure de l’organisation Pain pour le Prochain, le rendez-vous a rassemblé une soixantaine d’acteurs du domaine. Face à l’urgence écologique, cet événement révèle une volonté d’intégrer une dimension résolument intérieure aux solutions proposées pour réduire notre empreinte écologique. C’est le célèbre adage « se changer soi-même pour changer le monde ».

En ceci, l’écospiritualité nous invite à regarder en nous-même afin d’opérer une « transition intérieure », condition complémentaire essentielle à une transition de notre modèle socio-économique actuel. Mais de quoi est fait cet « intérieur »? Il englobe notamment nos valeurs, nos représentations du monde, mais aussi nos conceptions de ce que nous appelons « la nature », dont nous nous serions, en tant qu’humains modernes occidentaux, déconnectés. Le constat paraît simple : il s’agit de nous « reconnecter » à cette nature afin de nous changer nous-même pour changer le monde.

Dans le domaine religieux, cette reconnexion passe par une (re)découverte de Dieu dans la création. Mais comme le précise très justement un intervenant dans l’émission Babel de la RTS, le développement d’une écospiritualité se veut large et ne se restreint ainsi pas à une tradition religieuse en particulier. En effet, la question de la déconnexion humain-nature peut se lire et se comprendre dans une perspective qui dépasse toute forme de religion.

Moins connu du grand public, le champ de la psychologie existentielle propose des pistes pour expliquer les raisons profondes de cette déconnexion. Des études expérimentales ont montré que le rappel de notre propre mortalité était associé à un désintérêt pour les questions environnementales, et à un rejet plus important de toute identification aux autres animaux.

Autrement dit, il semble que la conscience de notre propre mortalité puisse engendrer des réactions de rejet en regard de notre appartenance à la nature. En ceci, selon cette perspective, les relations humaines au monde naturel constituent un enjeu existentiel majeur. En effet, bien qu’aujourd’hui nous puissions avoir le sentiment d’être déconnectés de la nature, que ce soit par nos modes de vie ou notre habitat majoritairement urbains, la nature autour de nous, dans ce qu’elle a de visible, nous rappelle en permanence que nous lui appartenons, et que nous sommes soumis à ses lois et ses rythmes. Ce rappel peut être discret, quand nous observons les effets des saisons sur les arbres qui nous entourent, ou plus brutal, lors d’événements marquants comme des tremblements de terre ou de fortes sécheresses.

Ainsi, au travers d’exercices de reconnexion à la nature, ou de recherche de Dieu dans la création, l’enjeu est bien d’entrer en dialogue avec nous-même, et d’entamer une confrontation plus ou moins douce avec notre propre finitude. Cela étant dit, les expériences dans la nature sont également porteuses d’un pouvoir potentiellement apaisant, lorsque nous ressentons un lien fort à ce Tout qui nous dépasse, ou lorsque nous nous sentons simplement acceptés pour ce que nous sommes. Qui n’a jamais ressenti lors d’une ballade une forme d’émerveillement à la rencontre fortuite d’une biche ou de tout autre animal non domestiqué ? Ainsi, nos expériences en milieu naturel nous révèlent une relation à nous-même dominée potentiellement par deux tendances, comme deux faces d’une même pièce, entre acceptation et négation de notre propre condition humaine.

La psychologie existentielle permet d’éclairer cet enjeu qui apparaît de manière implicite dans l’évocation du terme d’écospiritualité. Elle invite également quiconque à réfléchir à cet enjeu, indépendamment de son bagage religieux ou spirituel. Plus largement, l’écospiritualité pourrait devenir l’interprète d’une cohabitation harmonieuse entre différentes croyances, avec pour socle commun cette entité que nous appelons « nature ».

Sarah Koller est assistante doctorante à l’Institut de géographie et durabilité

Lectures complémentaires

  • Egger, Michel Maxime (2012). La Terre comme soi-même, Repères pour une écospiritualité. Genève: Labor et Fides.
  • Macy, Joanna et Brown, Molly Young (2008). Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre ?: Retrouver un lien vivant avec la nature. Gap: Le Souffle d’Or.

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