Traçage isotopique des eaux du Rhône dans le Lac Léman

Paru en novembre 2012 dans le Journal of Hydrology sous le titre Mixing of Rhône River water in Lake Geneva (Switzerland-France) inferred from stable hydrogen and oxygen isotope profiles, une étude de Janine Halder, Laurent Decrouy et Torsten Vennemann, professeur ordinaire à l’ISTE, apporte une nouvelle compréhension de l’écoulement des eaux du Rhône dans le Lac Léman et des enjeux de société qui y sont associés.

Cette recherche a été entreprise dans l’idée de mieux comprendre la dynamique des mélanges d’eau et ainsi la dispersion des polluants solubles dans le Lac Léman. Pour ce faire, des profils d’eau ont été échantillonnés entre 2010 et 2011 sur une base mensuelle et saisonnière sur différents points représentatifs de l’ensemble du Lac Léman. Les mesures de la composition isotopique des isotopes stables d’hydrogène et d’oxygène d’eau permettent un traçage précis de l’origine des molécules d’eau dans le cycle de l’eau sur la surface terrestre. La composition isotopique de l’eau peut être mesurée en fonction de sa concentration en vapeur au moment de sa précipitation. Ceci s’applique notamment aux régions alpines où la composition isotopique de l’eau est sujette à des variations considérables entre l’eau de précipitation qui s’écoule à des altitudes élevées, celle qui s’écoule à des altitudes basses et, pour finir, l’eau glaciaire. Ce traçage isotopique a été appliqué au Lac Léman, afin de mieux comprendre la dynamique des mélanges d’eaux. Par extrapolation, on peut estimer la dispersion des polluants solubles dans le Lac Léman et leur origine.

Parmi l’ensemble des mesures effectuées sur le terrain, qu’elles soient isotopiques ou liées à la conductivité, à la température ou la quantité d’oxygène dissous, seule la composition isotopique indique une stratification nette de la colonne d’eau dans le métalimnion du lac durant l’été et l’automne jusqu’au « Petit Lac » proche de Genève. Le métalimnion est la couche de profondeur moyenne des eaux d’un lac, couche située entre l’épilimnion de surface et l’hypolimnion de profondeur. Elle marque souvent une barrière physique au sein d’un lac. La stratification observée est liée au mélange des eaux d’origine du bassin versant du Rhône, qui se caractérisent par une forte contribution de neige fondue et d’eaux issues de la fonte saisonnière des glaciers du printemps à l’automne. Ces eaux sont particulièrement enrichies en isotopes légers par rapport aux eaux du lac. Cet écoulement des eaux du Rhône se stabilise à une profondeur d’environ 20 m dans les eaux du Léman et il est d’une épaisseur variant de 7 à 15 m. L’écoulement de ces eaux s’étale sur une distance de plus de 55 km, jusqu’au Petit Lac, et reste détectable même dans la baie de Vidy, formant donc un flux homogène. Plus encore, la méthode isotopique permet également de faire une mesure exacte de la proportion des eaux du Rhône dans l’écoulement. Ainsi, la proportion maximale de ces eaux a été mesurée durant les étés 2010 et 2011, atteignant jusqu’à 37 % de la masse totale au milieu du Lac Léman et environ 17 à 19 % dans la région du Petit Lac. En revanche, la stratification s’affaiblit et la dispersion devient effective pendant l’automne et l’hiver grâce au brassage des eaux du métalimnion, provoqué essentiellement par un refroidissement saisonnier et les vents froids.

Les mesures isotopiques fournissent donc une compréhension décisive de la circulation des eaux du lac. On peut en déduire une estimation de l’origine des molécules d’eau dans le lac, leur temps de résidence dans le plan d’eau ainsi que la distribution de polluants originaires du bassin versant du Rhône. Cela s’applique aussi à d’autres rivières, aux stations d’épurations qui se jettent dans le lac, ainsi qu’à la distribution de nutriments dans le lac et son oxygénation. Cette étude pionnière pourrait avoir de nombreuses répercussions à l’avenir sur la gestion trans-frontalière des eaux, par exemple pour déterminer avec certitude l’origine de polluants dans une approche pollueur-payeur. Il serait aussi possible de déterminer dans quelle mesure une certaine quantité d’eau correspond à une certaine quantité d’énergie hydraulique et donc de lui inférer une valeur marchande pour la région dont provient cette eau. En partant d’une échelle d’analyse moléculaire, on arrive ainsi à déterminer des enjeux cruciaux pour une grande région trans-frontalière à l’échelle régionale.

Référence bibliographique

Janine Halder, Laurent Decrouy, Torsten W. Vennemann, Mixing of Rhône River water in Lake Geneva (Switzerland-France) inferred from stable hydrogen and oxygen isotope profiles, 2012, Journal of Hydrology 477 pp. 152-164.

Photo: © xim-crow – Fotolia.com

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