Hocus Pocus
Par la Cie Philippe Saire / Le Petit Théâtre / du 25 octobre au 5 novembre 2017 / Critique par Julia Cela.
Prestidigitation
27 octobre 2017
Par Julia Cela
Au Petit Théâtre, la Cie Philippe Saire remotive et réinvente, dans un spectacle à destination du jeune public, le dispositif lumineux imaginé pour Vacuum en 2015. Un pas de deux en apesanteur, où les danseurs deviennent illusionnistes.
Deux néons découpent un rectangle lumineux sur le fond noir. C’est une petite scène dans la scène, comme un théâtre de marionnettes, encadré par la lumière crue et froide des deux tubes. L’espace ainsi dessiné floute les axes auxquels nous sommes habitués : les planches, les rideaux et le fond de scène sont plongés dans le noir le plus total. N’apparaît que ce qui traverse l’écran lumineux. Le noir profond tout autour annule l’espace, et le blanc éclatant du cadre semble suspendre les lois de la gravité. Les corps lévitent, libérés de leur poids par l’invisibilité de leur ancrage au sol.
Variations
Le spectacle se découpe en trois parties. On regrette d’abord cette discontinuité jusqu’à saisir qu’il s’agit d’explorer un maximum des potentialités de ce dispositif. En ouverture, des parties du corps apparaissent, créant des images mouvantes et abstraites à la géométrie douce, très proches du visuel de Vacuum. Coudes, dos, genoux semblent se séparer du corps, passer d’un danseur à l’autre dans un mouvement qui rappelle la révolution des astres.
A la fin de ce premier chapitre, on découvre le visage des deux personnages : Lucas et Victor, des enfants dans des corps d’adultes. Ils s’amusent et s’oublient dans le jeu. Ils s’emportent, les gestes grandissent et ouvrent la voie vers la troisième et dernière partie : un voyage merveilleux entre cieux, souterrains et monde sous-marin.
Espaces invisitables
Au gré de leurs aventures, Victor et Lucas découvrent de nouveaux espaces. A l’aide d’un aéronef bricolé, les deux compagnons s’envolent. Les danseurs font voir la moindre secousse, le moindre sursaut. Soudain, Victor lâche prise et tombe à l’eau. Alors qu’il s’enfonce dans les profondeurs, on rencontre de curieuses créatures qui rappellent les illustrations de l’explosion cambrienne dans les livres d’histoire naturelle.
C’est peut-être la scène la plus saisissante du spectacle. A nouveau, la gravité se suspend. Les mouvements du danseur interprétant Victor créent l’illusion parfaite d’un corps plongé dans l’eau. Les fébriles créatures marines, curieuses marionnettes actionnées par le second danseur, s’agitent, s’effarouchent, puis disparaissent avec la hâte maladroite et gracieuse des invertébrés marins. L’univers sonore s’agrémente de touches aquatiques étouffées, si bien que l’on se sent immergé aussi profondément que le personnage de Victor.
Hocus Pocus se savoure ainsi comme un pied de nez à l’irreprésentable. La suspension temporaire des lois de la physique émerveille petits et grands. Si, toutefois, l’enfant croit à de la magie, l’adulte reconnaît la prestidigitation. Car c’est bien l’agilité qui parfait l’illusion et qui donne à voir l’impossible. La chorégraphie fonctionne comme rouage invisible de la représentation. Les danseurs bougent et suent dans le noir pour actionner le personnage ; c’est un magistral numéro où le corps est magicien, à la fois pantin et marionnettiste, visible et invisible.
27 octobre 2017
Par Julia Cela