Où se cachent les larves de cette espèce ?

Limnephilus pati O’Connor est un insecte très rare en Europe, trouvé pour la première fois en Suisse. Cette découverte confirme la valeur écologique de la Grande-Cariçaie à l’échelle du continent, mais étudier davantage cette espèce peu connue représente un vrai défi. Explications.

C’est un insecte très rare à l’échelle européenne et c’est la première fois qu’on l’observe en Suisse, grâce à la capture d’un individu dans la réserve naturelle de Cheyres, qui fait partie de la Grande Cariçaie, la zone marécageuse qui s’étend sur toute la rive sud du Lac de Neuchâtel. Limnephilus pati O’Connor a quatre ailes membraneuses et il s’agit d’un proche parent des lépidoptères, qui regroupent mites et papillons.

Cette découverte d’une espèce d’insecte rare et nouvelle pour la Suisse est intéressante dans la mesure où elle permet de gagner en connaissances sur la faune de Suisse. De façon générale, les informations concernant les invertébrés sont en effet moins nombreuses que pour les vertébrés. 

L’appareil génital de la femelle de L. pati  trouvée en Suisse vu de profil, de dos et de face. Sa morphologie est similaire à celui d’un spécimen capturé en France, à une cinquantaine de kilomètres de la Grande-Cariçaie © Pierre Marle

Le cousin des papillons et mites

L. pati O’Connor fait partie des Limnephilus, un genre d’insectes surtout présents dans la région holoarctique, à savoir l’Europe, l’Asie au nord de l’Himalaya, l’Afrique du Nord, et surtout l’Amérique du Nord, où l’on trouve plus de la moitié des 178 espèces de Limnephilus connues. La différence principale des Limnephilus par rapport aux papillons et mites est que leurs larves sont adaptées à la vie en eau douce, où elles se développent.

Cela dit, on connaît peu de choses sur L. pati O’Connor, car seul l’adulte a été décrit. Pouvoir étudier les larves permettrait de collecter des informations plus précises sur cette espèce, sur ses exigences en termes d’habitat et de savoir pourquoi elle est si rare en Europe. Il s’agit de la prochaine étape de l’étude, qui s’annonce comme un défi : « Trouver des larves va être difficile, car on a trouvé un seul adulte. On sait simplement que les larves de L. pati font probablement un étui, comme les larves d’autres espèces de Limnephilus »,  indique Pierre Marle, hydrobiologiste et chercheur associé au Naturéum.

Le mystère des larves

Les larves du genre Limnephilus peuvent se trouver dans les rivières et pas seulement dans les eaux stagnantes, mais de préférence dans les zones à faible courant, où elles ne risquent pas d’être emportées. De façon générale, les larves de Limnephilus se développent dans des endroits très localisés : « On parle de micro-habitats de quelques dizaines de centimètres carrés », explique Pierre Marle. À l’inverse, les adultes peuvent voler sur plusieurs kilomètres. Autrement dit, trouver des insectes adultes n’aide pas à trouver les larves.

Une localisation très limitée des larves est d’autant probable pour L. pati O’Connor que cet insecte a besoin d’un habitat très spécifique. D’abord, il apprécie les résurgences d’eau telles que les sources. « Selon mes collègues, L. pati aime les milieux calcaires et donc les eaux qui ont transité à travers des roches calcaires », note Pierre Marle. Enfin il a besoin de la présence d’eaux stagnantes proches. Les trois conditions mentionnées ci-dessus doivent être réunies pour que cette espèce se développe, d’où sa rareté à l’échelle européenne. L. pati était seulement connu dans 20 localités sur tout le continent avant la découverte faite dans la Grande Cariçaie durant l’été 2020.

Question et déductions

Est-ce que l’unique spécimen capturé pourrait provenir de très loin, emporté jusqu’en Suisse par une tempête ? C’est possible, mais l’hypothèse la plus probable est celle d’un individu qui s’est développé sur place. Ce sont surtout les espèces les plus petites qui sont emportés très loin, alors que L. pati O’Connor a de grandes ailes. De plus, les femelles de cette espèce présentent une morphologie variable et celle trouvée dans la Grande Cariçaie a une morphologie plus proche de celles qu’on trouve en France et Belgique que celles de populations plus lointaines, en Grande-Bretagne et en Irlande.

Un indicateur de biodiversité

La découverte de L. pati en Suisse renforce encore l’intérêt écologique de la Grande Cariçaie à l’échelle continentale, puisqu’il s’agit d’un des rares endroits où il a été trouvé en Europe. C’est un indicateur supplémentaire de biodiversité et de la qualité des habitats existants de la Grande Cariçaie, puisqu’il s’agit d’une espèce exigeante. De plus, L. pati fait partie d’une famille d’insectes utilisée dans l’IBCH, l’indicateur biologique suisse, utilisé pour mesure la qualité écologique des rivières. Les Limnephilus sont en effet particulièrement sensibles à la qualité des habitats. Cela dit, trouver des espèces pour évaluer la qualité des habitats est parfois très compliqué car chaque milieu peut contenir une multitude d’habitats différents. En fait, c’est la biodiversité totale du milieu qui devient un indicateur de tous ces habitats.

Vue aérienne de la réserve de Cheyres (FR). C’est ici qu’à été trouvé le Limnephilus pati O’Connor, un insecte très rare à l’échelle européenne. © Association de la Grande-Cariçaie

Cet article est une version vulgarisée d’un article paru dans le bulletin 2024 de la Société Vaudoise des Sciences Naturelles : Première mention de Limnephilus pati O’Connor 1980 en Suisse (Trichoptera, Limnephilidae, Pierre Marle, hydrobiologiste et chercheur associé au Naturéum).

Auteurs: Marle Pierre, Coppa Gennaro et Pétremand Gaël
Bulletin 103
Année: 2024
Pages: 61 – 64
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