Du mammouth au petit pois

Quel est l’impact du réchauffement climatique actuel sur l’agriculture et la viticulture, en particulier en Suisse? C’est ce qu’étudie Léonard Schneider, chercheur à l’Institut de géographie de l’Université de Neuchâtel.

Quelle est la différence d’un point de vue climatique entre une ère glaciaire et l’ère interglaciaire propice à l’agriculture dans laquelle nous vivons depuis des millénaires ? La différence, c’est une variation de la température moyenne planétaire de 5 à 6°C. Autrement dit, il a suffi de ces quelques degrés en plus pour que l’humanité passe de la chasse au mammouth à la culture du blé et du petit pois.

C’est en effet à la sortie de la dernière ère glaciaire, il y a 10’000 ans de cela, que l’agriculture s’est développée. Et avec elle, les villages puis les villes et les grandes civilisations qui y sont associées. Durant ces dix millénaires, le climat est resté très stable, avec des variations de température moyenne de moins de 1°C. Or le réchauffement climatique en cours depuis 1850 dépasse déjà cette amplitude.

Chercheur à l’institut de géographie de l’Université de Neuchâtel, Léonard Schneider se penche précisément sur l’impact du réchauffement actuel sur l’agriculture, notamment pour la vigne. Il s’est en particulier intéressé à la situation en avec un projet de recherche mené récemment dans le canton de Neuchâtel et d’autres en cours en Valais et dans les Grisons.

Pour l’instant, les changements sont plutôt favorables à certains cépages, comme le pinot noir, qui représente plus de la moitié du vignoble neuchâtelois. En 1970, le climat était presque trop froid pour ce cépage. Puis les températures ont augmenté d’environ 2°C entre 1970 et 2020. Avec comme résultat que le climat actuel est plus favorable au pinot noir. Mais à l’avenir, avec la poursuite de l’augmentation des températures, on va aller de plus en plus vers un climat trop chaud pour ce cépage.

Certains cépages plantés aujourd’hui risquent d’être inadaptés au climat plus chaud prévu dans les prochaines décennies. © Hélène Koch


En Valais, le projet en cours a comme but de contribuer aux stratégies d’adaptation, en étudiant comment le climat a évolué durant les 40 dernières années et aussi quelles sont les perspectives dans les prochaines décennies. Dans ce canton, le relief fait que l’air froid stagne régulièrement dans la plaine du Rhône. Ces lacs d’air froid se forment en particulier quand il n’y a pas de vent et pendant les nuits claires.  

Un des points étudiés est d’évaluer le risque de gel en fond de vallée et sur les coteaux. La végétation démarre en effet quelques semaines plus tôt qu’il y a 50 ans, mais les nuits de gel encore possibles ont aussi lieu quelques semaines plus tôt. Pour l’instant, la question n’est donc pas tranchée de savoir si le risque général de gel de printemps augmente ou non. Et même si le nombre de de jours de gel tend à diminuer, les gels tardifs restent possibles, notamment en fond de vallée.

Le réchauffement a une double conséquence. D’abord, des épisodes météo plus extrêmes, à la fois plus longs et plus intenses. Concrètement, on a plus souvent de fortes pluies ou au contraire des sécheresses plus intenses, car associées à des canicules. On observe aussi un changement dans la répartition des pluies sur l’année, avec des hivers plus humides et des étés plus secs.

L’autre impact du réchauffement est de favoriser la multiplication de certains insectes ravageurs. Ils se reproduisent davantage, avec par exemple trois générations dans l’année au lieu de deux pour certaines espèces.

Plus d’insectes et de sécheresses graves

Les hivers étant plus doux, certains insectes subissent aussi moins de mortalité durant cette période. Ces hivers plus doux favorisent aussi l’installation de nouvelles espèces qui ne supportent pas les épisodes de gel. Des ravageurs exotiques comme la punaise verte du soja peuvent ainsi se développer. Des espèces invasives que l’on observe d’abord souvent au Tessin, avant qu’elles s’implantent au nord des Alpes.

La multiplication des ravageurs et la hausse de températures ont un impact direct sur les cultures. Ainsi, la combinaison entre sécheresse et canicule augmente le stress hydrique pour les plantes. Affaiblies, elles sont alors plus exposées aux attaques d’insectes ravageurs.

L’ampleur du réchauffement fait que l’humanité se dirige vers l’inconnu, car on est en train de sortir d’une ère de plusieurs millénaires de stabilité climatique, qui a favorisé l’agriculture.

Ainsi, la sécheresse devient une préoccupation en Suisse, ce qui était peu le cas avant. Une des pistes envisageables est d’augmenter le stockage de l’eau et développer les systèmes d’irrigation.

Il faut aussi fortement anticiper pour les cultures pérennes, car les arbres fruitiers et les vignes sont plantées pour 30 à 40 ans. Ainsi, les cépages plantés actuellement risquent d’être inadaptés à un climat plus chaud, comme l’illustre le cas du pinot à Neuchâtel. Faut-il dès maintenant planter du merlot par exemple, plus adapté aux climats chauds ? Pas si simple : « Il faut aussi tenir compte du fait que les cépages sont souvent associés au terroir d’une région, explique Léonard Schneider. Cet aspect culturel fait partie de la réflexion pour savoir si on peut ou non remplacer ces cépages ». Une autre piste envisageable est de planter un peu moins de ceps à l’hectare pour diminuer les besoins en eau de la vigne, ou encore d’utiliser des porte-greffes plus résistants à la sécheresse. Enfin, on peut s’inspirer d’autres modes de cultures utilisés plus au sud, comme les pergolas.

En agriculture, on peut jouer sur la génétique, avec des variétés qui supportent mieux les épisodes de sécheresse. Reste que pour certaines cultures, le réchauffement est problématique. Pour la pomme de terre par exemple, le risque augmente de voir se multiplier les mauvaises années. En revanche, il est désormais possible de se lancer dans des cultures auparavant impossibles en Suisse. On trouve ainsi désormais du riz dans le Vully. 

Un saut vers l’inconnu, après des millénaires de climat stable

La température mondiale est restée très stable, durant 10’000 ans avec tout au plus des variations de quelques dixièmes de degrés. Ces légères variations de température ont cependant eu un impact important. Ainsi, un abaissement des températures moyennes de moins de 1°C a suffi à provoquer ce qu’on appelle le petit âge glaciaire, du 14ème au 19ème siècle. Durant toute cette période, l’Europe et l’Amérique du Nord connaissent des hivers particulièrement rudes et longs. Dans les Alpes, les glaciers avancent, broyant des villages entiers.
Avec le réchauffement actuel, la variation de température est bien plus importante. Autrement dit l’humanité vit un changement climatique sans précédent historique par son ampleur. Les conséquences sont très difficiles à estimer et on se dirige vers l’inconnu. «Dans tous les cas, il faudra s’adapter » résume Léonard Schneider.
 Les températures vont en effet continuer à augmenter quoiqu’il arrive à l’horizon 2050. Ensuite, il existe divers scénarios pour 2100. Celui d’un réchauffement limité à 1,5°C, but des accords de Paris, apparaît désormais comme quasi inatteignable. Concrètement, on se dirige plutôt vers un réchauffement global de 3°C à 5°C pour la fin du siècle si les émissions de gaz à effet de serre ne diminuent pas à l’échelle mondiale. Et davantage encore en Suisse. Actuellement, on en est déjà à 3°C de réchauffement par rapport à la période 1871-1900, soit le double de la moyenne mondiale.

La Société vaudoise des Sciences Naturelles organise une fois par mois une conférence tout public sur un sujet scientifique. Voici un retour sur celle donnée par Léonard Schneider, de l’Université de Neuchâtel, qui mène des recherches sur l’impact des changements climatiques sur l’agriculture et les forêts en Suisse