Thibault Hugentobler, Les arts appliqués à l’industrie du verre en Suisse. L’exemple de la Verrerie de Monthey

Quelques années avant la Verrerie de Saint-Prex, celle de Monthey en Valais collaborait déjà avec des artistes. Ces relations débutent avec Marc-Auguste Bastard en 1914 et se poursuivent au cours des années 1920 avec Juliette Matthey-de-l’Étang. Les deux figures genevoises imaginent des pièces à fabriquer, puis il et elle les décorent à l’émail, avant de les présenter dans des expositions d’arts décoratifs. Si le catalogue montheysan n’adopte pas ces nouveaux modèles pour autant, ces collaborations révèlent les potentialités d’une alliance entre les arts appliqués et l’industrie du verre helvétique, à une époque où la concurrence avec l’étranger est rude. La présente contribution entend mettre en lumière ces relations méconnues, tout en soulignant l’importance de la Verrerie de Monthey dans le premier tiers du XXe siècle.

Assortiment émaillé par Marc-Auguste Bastard, vers 1915. Original disparu ; tiré de Balet 2005, p. 41

Vincent Thévenaz, L’orgue de l’église Saint-John de Territet

L’article présente le destin mouvementé de l’orgue de l’église Saint-John de Territet, installé en octobre 1877 sur la tribune occidentale par une manufacture allemande. Déplacé dans le chœur, il est agrandi par une première firme anglaise, transformé par une seconde firme anglaise et finalement retouché par une entreprise suisse. À ces premières années mouvementées, succède un long déclin. L’orgue représente un témoin original et une synthèse stylistique rare reposant sur les héritages allemand, anglais et suisse. En déroulant ses étapes de conception, ses usages successifs et son évolution, l’article anticipe une restauration qui, plus que toute autre intervention, requiert des connaissances pointues.

Vue de l’orgue Walcker sur la tribune ouest avant 1885 (Archives communales de Montreux)

Laurent Auberson, Les murs de vignes en Lavaux. Éléments pour l’histoire d’une architecture paysagère

Les murs de terrassement des vignes de Lavaux sont un élément marquant de ce paysage aménagé inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Exprimant des nécessités essentiellement pratiques et discrets dans les sources d’archives, ils ont des origines qui ne se laissent pas appréhender avec une grande précision. Leur multiplication est allée de pair avec l’éclatement de la propriété foncière et des exploitations viticoles au bas Moyen Âge. Au XVIIIe siècle, les travaux d’amélioration du réseau routier furent l’occasion de constructions et de réfections plus systématiques de murs de vignes. La perception romantique – dans la peinture, les arts graphiques et la littérature – précéda de peu l’arrivée de l’ère industrielle et du chemin de fer, qui allait imposer des règles techniques strictes, tout en s’inscrivant comme une nouvelle étape dans l’évolution historique de ce patrimoine.

Un paysage historique aménagé au cours des siècles. Vue actuelle des terrasses de Lavaux entre Grandvaux et Rivaz. La forte empreinte des grands domaines du Dézaley est bien visible en bas à droite (photo de l’auteur)

Diego Maddalena, Barres, grilles et pilotis. Le modèle corbuséen dans l’habitat collectif vaudois vers 1950-1960

Vocabulaire architectural, volumes, relation avec les abords : durant les années 1950, l’habitat collectif vaudois et suisse connaît une profonde mutation. En l’espace de quelques années seulement, s’observe une généralisation des typologies de la barre et de la tour aux dépens des immeubles avec toiture à pans et façades en maçonnerie traditionnelle. À l’origine de ce processus se trouve notamment un bâtiment, l’Unité d’habitation de Le Corbusier et ses collègues de l’AtBAT, dont l’impact sur la production architecturale des années 1950-1960 est retentissant. Depuis la France, ce modèle est importé par plusieurs biais, en particulier par les publications, les voyages et à travers la formation des architectes. Il bénéficie également d’un terreau fertile en raison des nouvelles approches valorisant la rationalisation et l’industrialisation de la construction.

Ensemble de Valmont, Lausanne, Michel-Robert Weber, Nicolas Petrovitch-Niegoch, Charles-François Thévenaz et Pierre Prod’hom architectes, 1955-1962 (ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv, Stiftung Luftbild Schweiz)

Bruno Montamat et Joëlle Neuenschwander Feihl, De Paris à Pully : la villa Eupalinos de Charles Stern

L’article, présenté en deux parties, propose de raconter la genèse de la villa Eupalinos à Pully, du nom du mythique architecte grec, au travers de son singulier maître d’ouvrage, Charles Stern, artiste décorateur mondain parisien devenu poète solitaire au bord du Léman. Le portrait du commanditaire est une impérieuse nécessité pour en saisir pleinement l’hiératique demeure. L’article se poursuit ensuite par une exposition minutieuse de la composition de la maison et de ses jardins, conçus par Henri-Robert von der Mühll, homme profondément pénétré de l’environnement culturel cosmopolite dans lequel se développent les avant-gardes artistiques et l’architecture du Mouvement moderne, dont il sera ensuite un interprète et promoteur.

Emile Gos, Villa Eupalinos, 1928 (Das Werk)

Catherine Schmutz Nicod & Karina Queijo, La vie parisienne au bord du Léman. Les propriétés du prince Napoléon, de Jean-Philippe Worth et de Gustave Eiffel

Les années 1860 connaissent un essor du tourisme au bord du Léman, amenant l’édification de nombreux hôtels. Parallèlement, des étrangers fortunés décident également d’y acquérir une propriété ou d’y faire bâtir une demeure pour passer la belle saison. L’article présente le cas de trois célébrités parisiennes qui s’établissent sur la côte suisse dans les années 1860 à 1890: le prince Napoléon-Jérôme, Jean-Philippe Worth et Gustave Eiffel. La bourgeoisie parisienne du Second Empire est souvent dépeinte comme démonstrative, aussi bien dans son train de vie, son architecture que ses intérieurs. Elle apparaît comme fière d’exhiber sa réussite ou sa fortune. Les propriétés vaudoises de nos trois hommes ne font pas exception, témoignant d’un même goût de la démesure, assorti d’un éclectisme stylistique original, peu commun dans nos régions.

Gland, vue depuis le nord. « Villa Prangins. Ancien château du Prince Napoléon », carte postale colorisée (coll. privée)

Dave Lüthi, Immigrations architecturales : une histoire millénaire

Loin d’être un territoire isolé, le canton de Vaud est lieu de passage et parfois d’établissement pour des architectes et des artisans d’origine parfois lointaine, et ce depuis l’Antiquité. Depuis plus d’un demi-siècle, la recherche a mis en évidence ces acteurs provenant de Bourgogne, de Suisse alémanique, du Piémont mais aussi de la Gascogne, de l’Angleterre et du Pays de Galles. Cet article propose une vision panoramique de ce phénomène d’immigration architecturale au long cours, du XIe au XXIe siècles en cherchant à les placer dans leur contexte historique, politique et culturel.

Le château de Vufflens (photo Wikicommons : Manonroth, 2011)

Nicolas Bousser, Pierre Spicre au château Saint-Maire ? Le dossier complexe d’un peintre dijonnais du XVe siècle

Le château Saint-Maire, siège du Conseil d’État du Canton de Vaud, renferme plusieurs peintures murales datées entre le XVe et le XVIe siècle. Parmi celles-ci se trouvent un ensemble attribué au moins depuis le début des années 1930 à Pierre Spicre, peintre dijonnais dont le passage dans les sources est éclair. D’origine vraisemblablement nordique et peut-être tournaisienne, son nom apparaît pour la première fois dans les archives dijonnaises en 1470, avec une orthographe changeante et capricieuse allant de « Spicker », « Spilgr » ou encore « Spicr ». Retour sur l’origine de cette attribution et sur les problématiques autour du dossier complexe Spicre.

Anonyme, La Résurrection de Lazare, 3e tiers du XVe siècle, Beaune, chapelle Saint-Léger de la basilique collégiale Notre-Dame (photo Nicolas Bousser)

Thibault Hugentobler, Entre « classicisme et modernité ». Le décor intérieur du Tribunal fédéral à Lausanne

À l’occasion de l’inauguration du Tribunal fédéral de Mon-Repos à Lausanne en 1927, le critique Paul Budry évoque le caractère double de l’édifice, empruntant autant au « classicisme » qu’à la « modernité ». Cette formule trouve son pendant dans les étiquettes stylistiques tenaces qui qualifient encore aujourd’hui ce palais judiciaire : extérieur néoclassique, intérieur Art déco. De ce fait, une apparente dichotomie semble se dégager entre ces ensembles. Pourtant, l’observation minutieuse des formes et ornementations révèle un programme décoratif plus complexe. La présente étude s’attache à étayer les étiquettes stylistiques communément admises afin d’apporter quelques éclairages sur ce riche et impressionnant décor, ni totalement classique, ni totalement moderne.

Vue générale du premier étage (photo Jeremy Bierer, 2023)

Dave Lüthi, L’église Saint-John à Montreux-Territet. Histoire et architecture d’un monument importé

Construite à l’initiative de l’hôtelier Ami Chessex, l’église anglicane Saint-John de Territet a été conçue pour l’important communauté anglophone qui séjournait à Montreux dans le dernier quart du XIXe siècle et jusqu’à la première Guerre mondiale. Véritable morceau d’Angleterre, elle a été conçue en trois phases par trois architectes de renom – George Frederick Bodley, Richard Popplewell Pullan et Reginald Blomfield – et dotée d’un décor également importé depuis la Grande-Bretagne – vitraux, mobilier, orgues – et Bruges – le spectaculaire retable du maître-autel dû au sculpteur Alphonse de Wispelaere. Particulièrement bien conservée, restaurée avec soin, elle est l’une des plus importantes églises anglicanes de Suisse, rappelant à quel point la Suisse chantée par Rousseau et Byron était l’Arcadie des Anglais de la Belle-Époque.

La nef de l’église dans son état actuel, avec la charpente de bois apparente formant voûte (photo Rémy Gindroz, 2022)

Mathias Glaus, La chronologie de la cathédrale de Lausanne. Nouvelles données sur les voûtes quadripartites de la nef

Les analyses réalisées sur la voûte et les coursières hautes de la cinquième travée de la cathédrale de Lausanne ont permis de récolter deux bois d’œuvre qui offrent pour la première fois une date fixe pour la chronologie de la construction de l’édifice et plus particulièrement pour la seconde étape de la nef où des voûtes quadripartites ont été substituées aux sexpartites. Depuis plus d’un siècle, de nombreuses hypothèses de datation ont été proposées par les chercheurs successifs, privilégiant tantôt des comparaisons stylistiques, tantôt une interprétation des sources. La nouvelle datation de la seconde étape du chantier de la nef, en cours en 1195/96 nous oblige à reconsidérer toute la chronologie du chantier.

Vue de la voûte quadripartite de la cinquième travée (photo Claude Bornand, 2021)

Catherine Schmutz Nicod, Chaletisation à l’américaine. La Violette à Arzier

Profitant des recherches historiques effectuées autour de la maison de la Violette à Arzier, l’article propose une première synthèse du mouvement de « chaletisation » que connut la région nyonnaise dans les années 1860 à 1870. L’article affronte le propos tant du point de vue du contexte social, que du point de vue architectural et stylistique. Il ne distingue pas les objets selon les modalités exactes de leur « chaletisation », mais s’intéresse plus spécialement à l’idée générale qui a primé, décorative avant tout, faisant référence à l’architecture rurale vernaculaire en bois. Le style des chalets suisses, ou rustique national, s’inscrit dans un courant international qui s’épanouit surtout en France, en Angleterre et en Allemagne dans la première moitié du XIXe siècle.

La Violette après la deuxième phase de travaux datant de 1876. La mise en couleurs, vert et blanc, n’est pas d’origine (photo Jeremy Bierer, documentation MAH-PBC Vaud)

Pauline Nerfin, La balade des frères Spring dans le Pays de Vaud : chalets bienvenus ?

Cet article s’intéresse au chalet suisse préfabriqué au début du XXe siècle, tant dans le canton de Vaud que celui de Genève, via l’exemple des frères Spring. Cette fabrique qui s’implante à Genève en 1903 domine rapidement le marché romand mais est malheureusement peu documentée. Son succès lui donne l’opportunité de construire au-delà des frontières cantonales et c’est ainsi qu’elle est chargée par M. Sack d’ériger un petit chalet dans la commune de Pully au début des années 1930. Ce cas d’école questionne le rapport ambigu qu’entretiennent les administrations publiques, les autorités politiques, les architectes et les propriétaires-mandants avec l’objet architectural qu’est le chalet. En effet, dans un grand nombre de communes, le chalet est peu à peu mis au ban, vilipendé par les plans d’affectation et d’urbanisme. L’ampleur de la polémique ne s’épuisera finalement qu’avec l’épuisement de la mode du chalet urbain.

Chalet-villa « Les Roses » du prince Masséna d’Essling, Francis Gindroz, architecte. Photographe anonyme, non datée (Centre d’iconographie de Collonges-Bellerive)

Denyse Raymond, Leysin, communauté paysanne. Vivre et bâtir avant l’essor médical et touristique

À travers la présentation détaillée de l’évolution de la commune de Leysin, l’article pose les bases matérielles et typologiques du chalet, rappelant notamment qu’il n’est pas une maison paysanne en madriers – Le swiss chalet est une invention récente. Les différentes constructions en bois du village sont ainsi présentées selon les liens qu’elles entretiennent avec l’activité agricole d’altitude, prise entre vignes, champs et prés. Leur description détaille le développement des plans, le soin apporté aux inscriptions des façades et esquissent une brève sociologie des charpentiers qui œuvrèrent à Leysin. L’article ne manque pas d’aborder la modernisation du village, d’abord par le développement des sanatoriums, puis par le constat des conséquences matérielles de la nouvelle vie d’altitude.

Maison de 1785, le double escalier conduit à la cuisine, avec une chambre de chaque côté (photo Denyse Raymond)

Gaëlle Nydegger, La photographie comme outil de construction de l’architecte. René Chapallaz et les enjeux de la publication

Vues de chantiers, de systèmes constructifs ou de bâtiments réalisés : par l’intégration de la photographie à ses outils d’architecte, René Chapallaz (1881-1976) a constitué des archives de sa production. Cette documentation soutenue ne concerne que le début de sa carrière, alors que, formé par un apprentissage (Zurich, 1897-1900), il s’affirme en indépendant et s’implante à La Chaux-de-Fonds. Ainsi, le médium l’accompagne véritablement dans son développement, son ascension professionnelle. Par le prisme de publications, il s’agit de démontrer la manière dont l’image sciemment construite de son architecture et de sa pratique lui permet de se positionner en tant qu’architecte.

René Chapallaz, photographies de son bureau à Tavannes publiées dans la Schweizerische Bauzeitung 52, 1908, 7, planche (Zurich, ETH Bibliothek, e-periodica.ch)