Matthias Urban

Entretien radiophonique avec le metteur en scène.

Le 15 janvier 2022 dans l’émission À vous de jouer, animée par Daniel Rausis sur Espace 2 (RTS), le metteur en scène Matthias Urban s’est entretenu avec Marc Escola et Josefa Terribilini, respectivement professeur et assistante à l’UNIL, à propos de Vous toussez fort, Madame, créé au théâtre La Grange, à Lausanne, du 20 au 29 janvier 2022.

Avec l’aimable autorisation de la RTS, nous publions ici l’entretien sans intermède musical (20 min.) :

Entretien chez Daniel Rausis (Espace 2 – RTS) entre Marc Escola, Josefa Terribilini et Matthias Urban.

Pour écouter l’émission complète (1h), cliquer ici.


« Retrouver l’esprit de tréteau. » Entretien avec Matthias Urban

Cet autre entretien a été réalisé le 29 mars 2021 à Lausanne.

Josefa Terribilini : Que représente Molière pour vous ?

Matthias Urban : Mon premier souvenir avec Molière remonte à mon interprétation de Monsieur de Pourceaugnac, alors que j’étais encore gymnasien. J’avais adoré cette expérience, et en particulier le sens du plateau de Molière. La liberté de l’acteur m’est très chère dans son théâtre. Cet auteur a un immense talent pour mettre les comédiens en scène et leur laisser la liberté de jouer, malgré un cadre solide, fondé sur des dialogues très structurés. C’est une chose qu’on a rarement l’occasion d’éprouver en tant qu’acteur. 
La figure Molière, quant à elle, représente pour moi à la fois la folie débridée, et le règne de l’intelligence, de l’analyse des comportements humains. Et ce qui fait que son théâtre nous parle encore autant est principalement dû au fait que ces comportements n’ont pas beaucoup changé : la jalousie, l’envie, la manipulation, l’adultère, les personnages comme le Tartuffe, toutes ces vérités humaines ne peuvent pas vieillir. Évidemment, le langage du XVIIe siècle est très particulier et pose un problème différent. Mais le contenu des pièces sera toujours actuel.

Avez-vous participé à d’autres productions de pièces de Molière depuis Monsieur de Pourceaugnac, en tant qu’acteur, dramaturge ou metteur en scène ?

Je n’ai jamais pris part à un spectacle de Molière. J’ai uniquement effectué un travail préparatoire autour d’une courte pièce, Le Médecin volant, qui m’intéresse beaucoup parce que c’est une comédie en un acte, et l’on perçoit qu’il y a, avant le texte, un canevas, que tout est peut-être parti d’une improvisation. On sent la commedia dell’arte qui a tant inspiré Molière. Les petites comédies de ce genre sont complètement folles, absurdes par moment, très drôles, je trouve. Et j’ai l’impression qu’elles ont aussi un intérêt pour découvrir l’auteur en tant qu’acteur et praticien, d’autant plus que ce type de pièce courte est rarement mis en scène ; on voit surtout les grands classiques, qui sont d’ailleurs montés avec un certain sérieux. Tout se passe comme si le Molière institutionnel était un Molière plus politique, de l’intelligence et du beau langage, et donc réservé à une certaine élite artistique. Mais la dimension troupe et commedia de Molière, qu’on pourrait voir au coin de la rue, cet héritage-là nous est beaucoup moins parvenu. 

Molière, en tant qu’auteur français canonique, est souvent comparé à Shakespeare du côté anglo-saxon : qu’est-ce qui fait à vos yeux la spécificité de Molière et de sa dramaturgie, par rapport à d’autres auteurs « du répertoire » (y compris français, comme Racine ou encore Musset) ?

Tous ces dramaturges ont leur univers propre. On pourrait parler de liberté de l’acteur également pour Shakespeare. Mais ce qui singularise sans doute Molière, c’est sa langue. D’abord, il a écrit en français. Et alors qu’on peut amener une certaine modernité aux textes anglophones, notamment à ceux de Shakespeare, par le biais de la traduction, on ne peut pas en faire de même avec un auteur français. Avec Shakespeare, d’ailleurs, il apparaît très naturel de triturer, de couper – il y a eu un nombre incalculable de spectacles autour de son œuvre qui partent dans tous les sens, c’est un terrain d’exploration énorme. Mais cela ne se pratique pas avec Molière.
Il faut dire aussi que la langue de Molière, cette magnifique langue, pleine d’humour, de poésie et de finesse, est très particulière, de même que la construction extraordinaire de ses pièces. Je pense en outre que sa maxime, qui disait vouloir instruire les gens en les divertissant, reste valable : dans ses comédies, on a affaire à des traits de caractère dans lesquels on peut toujours se reconnaître et qui sont donc propres à nous rendre attentifs à certaines choses, tout en étant mis en situation de manière extrêmement drôle. En revanche, certains modes de vie qu’il dépeint ne correspondent plus à rien aujourd’hui, notamment les histoires de mariage arrangé ou de petits bourgeois. C’est tout l’enjeu aussi, pour nous, artistes : nous devons essayer de faire ressortir un aspect d’une pièce sans s’attarder sur un autre. Mais ce n’est pas toujours évident avec Molière, car ses comédies sont d’un bloc. 

Vous allez monter, en janvier 2022, un spectacle autour du Tartuffe en vous interrogeant en particulier sur la célèbre de scène 5 de l’acte IV, dans laquelle le mari, Orgon, caché sous une table, découvre l’hypocrisie du faux dévot qui tente de séduire sa femme Elmire : comment ce projet est-il né ?

L’année 2022, qui marquera les quatre cents ans de Molière, est une bonne occasion de parler de son œuvre, de la transmettre, de l’essayer. Qui plus est dans une approche historicisante qui permet de prendre du recul et de se questionner sur la manière dont les metteurs en scène ont abordé et perçu Molière depuis le XVIIe siècle. Cela me permettra aussi de me demander à quel point je suis libre lorsque je m’empare de son œuvre : est-ce que je l’aborde d’une façon instinctive qui me serait propre, ou est-ce que je m’inscris dans une tradition qui a déjà cinquante ans ? 
Le projet lui-même a été élaboré en collaboration. Nous avons d’abord réfléchi, avec Danielle Chaperon [professeure à l’UNIL], aux manières de travailler Molière, dans une approche historienne, et puis nous est venue l’envie de nous concentrer sur la scène de la table pour la jouer plusieurs fois, de différentes manières. 

Quelle(s) autre(s) pièce(s) de Molière aimeriez-vous mettre en scène ?

J’aimerais monter Le Médecin volant un jour, mais je voudrais pouvoir le faire dans un contexte différent, hors du cadre traditionnel du théâtre, pour retrouver l’esprit de tréteaux de Molière. Parce que ce n’est pas toujours évident de retrouver la liberté que je mentionnais tout à l’heure lorsqu’on joue dans une boîte noire, avec un rapport scène-salle unilatéral. Avec ce Médecin volant, il faudrait essayer d’aller au cœur de l’héritage de la commedia dell’arte.
L’esthétique ne devrait pas forcément relever de la commedia, il s’agit plutôt d’un état d’esprit. En tout cas, je ne voudrais pas renvoyer à une époque précise ; je n’aurais pas envie de monter cette pièce dans les années 50, en Allemagne, ou encore au temps de la prohibition des USA. Ce type d’actualisation peut être intéressant pour mettre en résonance des pièces, mais mon approche consisterait plutôt à ne pas inscrire la comédie dans un contexte historique trop prononcé. D’une part pour laisser beaucoup de place à l’imagination du spectateur, et d’autre part pour garder cette liberté absolue qu’on espère atteindre dans le jeu et dans l’interprétation. Je me permettrais d’ailleurs d’ajouter des éléments, parce que je pense qu’au départ, la pièce reposait sur un canevas qui laissait de la place pour des ajouts des comédiens, des lazzis et des digressions. Certaines scènes pourraient par exemple être uniquement visuelles, fondées sur des partitions corporelles.

Et si toutes les places, tous les parvis et tous les théâtres du monde vous étaient ouverts, où rêveriez-vous de le monter ?

Je n’ai jamais pensé jouer hors de Suisse. Je trouve que le Théâtre du Jorat, à Mézières, se prêterait bien à Molière car le cadre y est sublime, avec ses vieilles poutres et les jardins alentour. On pourrait exploiter l’intérieur comme l’extérieur du bâtiment. Cela dit, je ne réfléchis pas forcément en termes de lieu, mais plutôt en termes d’équipe. Et cette équipe pourrait se rendre dans plein d’endroits différents, pour convier un maximum de spectateurs. Je voudrais que ce spectacle soit vu par toute la famille, des enfants aux personnes âgées. C’est ce qui m’intéresse au théâtre : la communion des âges.