Date limite de dépôt : 11 février 2024
Dans la cadre de l’accord de coopération entre l’École des hautes études en sciences sociales et le département d’histoire à Johns Hopkins University, l’EHESS organise à Baltimore du 9 au 12 septembre 2024 un atelier doctoral international consacré à la question des objets dans la démarche de l’historien, à toutes ces « choses » qui, sans constituer le sujet de la recherche, y trouvent leur place dans la création des connaissances. L’atelier entend réunir une quinzaine de doctorantes et doctorants (5 en provenance de l’EHESS) pour des présentations de 40 minutes et des séances de travail en salle et dans les musées.
Les historiennes et les historiens ont toujours l’ambition de faire un sort à la question de la place de la culture matérielle dans la définition de leurs objets d’étude et l’établissement de leur démarche, ainsi que dans la présentation de leurs résultats. Le material turn a certes fait bouger les lignes depuis la toute fin du XXe siècle en ce qu’il a permis d’attribuer aux objets, aux matériaux et aux techniques le statut de « source historique » à part entière, en les faisant circuler au sein des disciplines plutôt que de les cantonner à l’apanage de l’archéologie, de l’histoire de l’art et de l’anthropologie. Malgré les questions posées par la conservation et la représentativité de ces objets, toutes les périodes livrent des éléments de culture matérielle aux dossiers de l’histoire religieuse, intellectuelle, économique, politique et sociale. L’histoire s’en empare au titre de preuve, d’argument, de source ou d’illustration. Si l’on s’arrête aujourd’hui pour les préciser sur les implications épistémologiques d’un quart de siècle de material turn, on ne peut que reconnaître tout l’intérêt de la démarche pour les disciplines historiques qui ont réinjecté l’objectalité, l’attention aux matériaux et la dimension anthropologique des « choses » au cœur de leur recherche, mettant en lumière les mécanismes de prestige et de distinction, ou les dimensions symboliques de realia parfois banales et quotidiennes.
L’un des principaux bouleversements heuristiques produits par le material turn se tient dans le passage d’une histoire des objets à une histoire par les objets. Échappant à la constitution de corpus et insérés dans un système documentaire mêlant des sources différentes, les choses permettent d’ancrer la réflexion historique dans le réel, d’incarner les idées dans des portions de matière et de teinter les développements d’une tonalité « terrienne », en apparence plus en prise avec le quotidien, le social, l’humain. Il est difficile de ne pas reconnaître les bienfaits rhétoriques d’une telle présence de l’objet dans le discours historien à condition de pointer dans le même temps les limites et les dangers éventuels de cette démarche qui conduit volontiers à faire de l’objet l’illustration d’un phénomène, à lui attribuer une agentivité dont on ignore la réalité, à patrimonialiser par l’écriture des artefacts pleinement inscrits dans le quotidien, à sacraliser la chose au détriment de celles et ceux qui la créent et l’utilisent, etc. Aussi cette histoire par les objets demande-t-elle une grande rigueur méthodologique et in fine l’établissement de règles strictes d’écriture qui mettent en tension l’objet historique et l’objet historien sans les mettre en conflit ; une écriture qui ne se trompe pas de sujet et qui met l’objet à sa place.
Ces précautions sont encore plus nécessaires dans le cadre du travail doctoral. L’exercice de la thèse attend en effet un exposé de la méthode qui définit précisément l’horizon théorique et épistémologique de la recherche d’une part, et un relevé systématique et raisonné des sources mobilisées pour le traitement de la problématique d’autre part. Le passage obligé par le corpus et l’historiographie est souvent un moment critique dans la thèse ; il l’est peut-être davantage quand il concerne la présentation et le traitement d’éléments de la culture matérielle, quand il s’agit d’aborder le livre plutôt que le texte, l’objet plutôt que l’image, le support plutôt que le contenu, l’artefact plutôt que l’acteur. Il s’agit d’un moment encore plus difficile à gérer quand la thèse ne porte pas spécifiquement sur les objets, quand ils apparaissent en pointillé au cœur des développements ; quand les objets ne sont simplement pas le sujet du travail doctoral. Le risque du mésusage – entre anecdote, illustration et surinterprétation – plane sur la thèse, et il faut confier à l’écriture le soin de composer ce
« système des sources ».
C’est à ce sujet de l’histoire par les objets qu’est consacré l’atelier doctoral international organisé à Baltimore en septembre 2024 dans le cadre de l’accord de coopération entre l’École des hautes études en sciences sociales et Johns Hopkins University. Il entend réunir des doctorantes et des doctorants en histoire, en histoire de l’art et en anthropologie qui présenteront la place de la culture matérielle dans leurs recherches et les recours méthodologiques mis en place pour produire leurs réflexions.
Conformément aux principes de l’EHESS qui fait de l’enseignement par la recherche sa priorité et sa singularité, principes qu’elle partage tout à fait avec Johns Hopkins University, ce workshop entend réunir dans une même dynamique de formation la recherche et l’enseignement en donnant la possibilité aux doctorants de faire connaître leurs travaux tout en acquérant des expériences et des compétences originales dans le cadre de ce séjour à l’étranger. Ouvert à toutes les périodes historiques, l’atelier est en effet pensé comme un temps d’échange mêlant la présentation formelle de dossiers et d’études de cas, le partage d’expérience et la mise en commun des enjeux méthodologiques. Il inclut également des séances de travail sur les collections du Walters Museum of Art (Baltimore) et à la National Gallery (Washington, DC), ainsi que des séances de formation (l’écriture du compte rendu, le format du research paper, gérer les Q&A).
Destiné en priorité aux étudiantes et aux étudiants de l’EHESS et de Johns Hopkins (10 places), l’atelier constitue l’occasion de créer une communauté de jeunes chercheuses et chercheurs engagés dans une même aventure intellectuelle et souvent isolés en raison des spécificités matérielles de leur thèse. Les présentations se feront en anglais afin de faciliter une compréhension globale des travaux, mais les discussions pourront être menées dans la langue de chacun dans le souci de lier la pensée et les moyens linguistiques.
Comment candidater ?
Modalités et calendrier de soumission
L’appel à contribution est ouvert en priorité à cinq doctorantes ou doctorants de l’EHESS préparant une thèse en histoire, histoire de l’art et anthropologie dont les travaux sont en lien avec le sujet de l’atelier doctoral, dont le déplacement et le séjour (avion et hébergement à Baltimore) seront pris en charge par l’EHESS.
Les étudiantes et les étudiants souhaitant déposer leur candidature pour cet atelier devront envoyer avant le 11 février 2024 les éléments suivants réunis en un seul fichier PDF :
- présentation du sujet de la thèse (1 500 mots environ) ;
- proposition de communication (titre + résumé de 500 mots, en français et en anglais + 5 titres d’une bibliographie indicative) ;
- lettre de candidature ;
- visa du directeur ou de la directrice de thèse.
Les candidatures devront être envoyées aux deux adresses suivantes :
vincent.debiais@ehess.fr ; elisabethniederdoeckl@gmail.com
La sélection des doctorantes et des doctorants sera faite à réception des dossiers par les responsables de l’atelier à l’EHESS et à Johns Hopkins.