Appel à communications | « Documentaires de création » et « beaux documentaires » de radio…Le désir de belle radio aujourd’hui

« Documentaires de création » et « beaux documentaires » de radio… Le désir de belle radio aujourd’hui : le documentaire

Université Paul Valéry, Montpellier 3, 16-17 novembre 2021

Échéance des propositions : 17 juillet 2021

Colloque organisé par Éliane Beaufils (Paris 8), Christophe Deleu (université de Strasbourg, Centre universitaire d’enseignement du journalisme/Sage, et auteur radio), Pierre-Marie Héron (Montpellier 3) et Florence Vinas-Thérond (Montpellier 3). Avec le concours d’Irène Omélianenko, documentariste et ex-conseillère de programme pour le documentaire et la création sonore à France Culture. En partenariat avec l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et Addor.

Le documentaire, souvent décrit comme un programme didactique visant à expliquer le monde, et qui s’appuie sur des documents authentiques, est un genre qui ne va pas de soi à la radio. C’est un peu comme si l’on ne savait pas toujours très bien à quel type de programme il renvoyait. Contrairement au secteur cinématographique où il est bien identifié depuis plus d’un siècle (Gauthier, 1995 ; Guynn, 2001 ; Niney, 2002), et notamment en tant que genre concurrent de la fiction (Veyrat-Masson, 2008), le documentaire est un format radiophonique parmi d’autres (fiction, magazine, jeu, journal d’information, débat, émission musicale…), et sa définition elle-même est au centre de débats (Deleu, 2013). Le documentaire est cependant un genre reconnu, y compris par des institutions comme la SCAM (Société des Auteurs Multimédia) qui gère les droits d’auteurs des créateurs, et qui le classe parmi les genres les plus réputés et par conséquent les plus rémunérateurs.

Si l’on trouve bien l’expression « documentaire radiophonique » dans quelques écrits dès les années 1930, notamment dans les écrits de Carlos Larronde, auteur radiophonique marquant de la décennie, membre puis directeur de l’équipe de radioreportage de L’Intransigeant, chef du service des radioreportages de la Radiodiffusion nationale en 1938 (Todd, 2007), et si quelques programmes, de la rédaction parisienne de Radio-Luxembourg après 1936 s’en rapprochent, ainsi que les documentaires sonores programmés à Paris-PTT en 1939 (promenades sonores dans différents quartiers de Paris, en compagnie de Paul Fort André Beucler, Colette, Paul Morand, Jean Cocteau, etc., montages radiophoniques de Roger Goupillières), le genre semble s’être assez peu développé avant la Seconde Guerre mondiale en raison des contraintes techniques qui pèsent encore sur la radio. Les techniques d’enregistrement et de montage ne permettent alors que très peu de souplesse. Des camions-sons sont nécessaires pour capter la matière sonore à l’extérieur, et le montage se grave sur des disques souples, très fragiles. À l’heure du numérique, et de tout ce qu’il permet, ce rappel historique nous fait prendre conscience que réaliser des documentaires n’était pas une opération aussi aisée qu’aujourd’hui. Peu d’archives nous sont donc parvenues de cette période-là.

Après la Seconde Guerre mondiale, la situation évolue. La bande magnétique et le Nagra apparaissent dans les radios, favorisent les prises de son à l’extérieur, et par conséquent les émissions plus élaborées. Le documentaire est très vite rattaché à la radio de création, qu’on appelle alors parfois « huitième art », puisque le Club d’Essai de la radio publique – fondé par Jean Tardieu en 1946 après l’expérience de Pierre Schaeffer et de son Studio d’Essai (1943-1945) –, souvent considéré comme le lieu de toutes les innovations d’après-guerre, s’en empare à travers quelques propositions de documentaires semblables à ceux que le cinéma produit (comme exemple pionnier, on peut rappeler l’enregistrement d’un voyage en train hélas disparu (Paris-Brest, Peuchmaurd, 1946).

Cependant, le documentaire est loin d’être le genre le plus représenté au sein du Club d’Essai, et, plus généralement, il ne figure pas parmi les genres les plus développés à la radio. Il est vrai qu’il nécessite davantage de moyens techniques et financiers que d’autres types de programmes réalisés en direct. Durant plusieurs décennies, on le retrouve donc principalement sur la radio publique, et, même sur celle-ci, il semble, sinon tomber en désuétude, du moins muter au profit d’un genre hybride qu’on pourrait définir comme l’« émission élaborée », pour reprendre la terminologie de France Culture (Glevarec, 2011). L’« émission élaborée », qui se substitue au terme « documentaire » pourrait ainsi être définie comme une émission à visée didactique, qui n’est pas réalisée en direct, et qui est composée de sons enregistrés en studio ou à l’extérieur, et montés selon une réalisation préétablie. Une oreille distraite peut ainsi confondre les différents genres radiophoniques, et ne pas reconnaître, de prime abord, un documentaire.

C’est à la fin des années 1960 que la radio de création se ré-empare du documentaire, notamment avec l’émission la plus célèbre, Atelier de création radiophonique, créée en 1969 sur France Culture. Mais, là aussi, on rencontre une difficulté à pister le genre, car les créateurs de l’Atelier rejettent le terme de documentaire, et ne veulent surtout pas définir leur production d’une manière ou d’une autre. Il en va de même pour l’émission Nuits magnétiques de France Culture, créée en 1978, où le terme « documentaire » est banni. Une analyse rétrospective (Deleu, Héron, Le Bail, 2019 et 2021) montre pourtant que ces deux émissions ont offert aux auditeurs de nombreux « documentaires » de création au sens qu’on lui donne aujourd’hui.

Dans les années 2000, période qui correspond par ailleurs au développement du numérique, le terme « documentaire » refait son apparition dans le champ radiophonique et audio, notamment avec l’émission Sur les docks de France Culture (2006-2016), puis LSD (La série documentaire, créée en 2016), sur Arte Radio, site pionnier du podcast en France, à partir de 2003, avec la journée spéciale du documentaire au Festival Longueur d’ondes en 2008 qui inaugure des rendez-vous réguliers depuis cette date, en 2009 avec la création d’Addor (Association pour le développement du documentaire radiophonique). Au niveau européen les documentaires circulent, les liens tissés entre Pascale Tison de la RTBF et Carmelo Iannuzzo de L’ACSR en Belgique, David Collin en Suisse et Irène Omélianenko en France conduisent à des rediffusions ou des créations communes soutenues en partie par la SCAM et le fonds Gulliver. Des collectifs de producteurs se créent (Faidos Sonore).

Comme souvent les progrès techniques modifient la production d’œuvres que ce soit par l’irruption de matériel moins onéreux accessible à tous ou la remise au goût du jour du son multicanal. C’est en 1997 sur France Inter qu’un premier documentaire radiophonique enregistré en son multicanal avait été diffusé. Le binaural et le multicanal sont des terrains de bouleversement et d’émancipation pour le documentaire. Le binaural, facile à mettre en œuvre, va être dans l’année 2013 la nouvelle coqueluche pour l’écoute sur portable ou ordinateurs via les casques.

Le documentaire se fait aussi web documentaire, avec un engouement marqué pour le support au début des années 2010 (citons À l’abri de rien de Mehdi Ahoudig et Samuel Bollendorf en 2011, repris en livre-disque ; Métal Fantaisies, sur le Hellfest, et Souvenons-nous du Joola en 2012, prod. France Culture, Webdog en 2013, prod. Arte et France Culture…). Les formes courtes sollicitent nombre de créateurs (capsules sonores et autres QR codes), de même que, au-delà de la radio et d’internet, les soundwalks / balades sonores, les installations dans des musées (Reattu à Arles), les propositions d’écoute immersive, avec par exemple, de 2015 à 2018, le « Cinéma pour les oreilles » proposé au studio 105 de la Maison de la Radio, des séances d’écoute de documentaires réalisés en son spatialisé – après la fermeture du studio 105 en décembre 2018, l’idée a été adaptée en partie tant au MK2 qu’à la Maison de la Poésie (Paris).

La recherche n’est pas en reste et en 2012 le CNAP signe un accord avec France Culture pour « permettre à des créateurs dont le travail relève du secteur des arts plastiques de proposer une œuvre sonore ». Dans ce cadre, Bernard Moninot et Gilles Mardirossian puis Céline Ters s’inscrivent dans le projet de recherche Edison 3D lancé par l’ANR (Agence Nationale pour la Recherche) avec le concours de Hervé Déjardin et Frédéric Changenet.

Le documentaire quitte aussi l’univers de la radio en se transportant sur la scène théâtrale, soit par l’intégration de témoignages dans les œuvres (Les Pieds sur Terre, qui deviennent, en s’inspirant de The Moth, à New York, Les Pieds sur scène (2016-2019), en reprenant des propos d’anonymes, au Théâtre du Rond-Point), soit dans des émissions en public conçues comme des tournées (Radio Live d’Aurélie Charon et Caroline Gillet).

Cependant, depuis le milieu des années 2010, le terme documentaire semble à nouveau être moins utilisé, noyé sous celui de « podcast » qui réunit des genres très différents. On remarque son absence dans toutes les nouvelles plateformes de podcast qui, pourtant, font appel au récit et au témoignage, comme dans le documentaire.

Pour ce colloque, nous avons choisi de faire un pas de côté, en proposant d’envisager le documentaire en lien avec la notion de « belle radio », et en remplaçant l’expression « documentaire de création » par « beau documentaire ». En cela, nous signifions que nous souhaitons nous intéresser au documentaire radio et/ou sonore qui ne relève pas forcément d’un art radiophonique ou de la création artistique, mais qui fait apparaître plusieurs caractéristiques communes qui font s’éloigner le documentaire de son statut de production standardisée de flux.

Il convient, au préalable, de dissiper tout malentendu. Car on pourrait s’étonner que l’on souhaite attribuer une valeur esthétique au documentaire, et même lui rattacher les termes de « beau » et de « création ». Le documentaire n’aurait-il pas avant tout comme visée de dire le monde, d’être le témoin de son temps, d’expliquer, ou de vulgariser, et le privilège du beau ne serait-il pas réservé à la fiction plus fréquemment reliée au domaine artistique ? À ces questions, nous répondons que la visée documentaire à la radio n’exclut pas la visée esthétique, comme l’ont démontré Olivier Lugeon pour la photographie (2011) ou Sophie Barreau-Brouste pour le documentaire image (2011). Rendre compte du monde, le documenter, n’exclut donc pas que l’on s’interroge sur la forme du documentaire, et que l’on puisse la rapprocher du domaine de l’art.

Le « beau documentaire » est bien entendu tout d’abord diffusé dans des émissions poursuivant des visées artistiques, et qui constituent des lieux de l’hybridation entre exploration du monde et affirmation d’une forme originale. Si l’on a cité l’Atelier de création radiophonique, l’on songe aussi aux Passagers de la nuit (2009-2011), à Création on air (2015-2019), ou, plus récemment L’Expérience (depuis 2019), toutes diffusées sur France Culture. Parmi les programmes contemporains francophones et toujours diffusés, on peut citer l’émission Par Ouï-dire (La Première), en Belgique, le Labo (RTS), en Suisse, et les productions du site Magneto (Canada). Avec l’apparition du numérique, il se retrouve aussi sur les radios associatives (Récréation sonore, Radio Campus Paris, Binaural, sur Jet FM…).

Mais le « beau documentaire » se retrouve aussi dans d’autres territoires radiophoniques, dans des émissions aux visées artistiques moins explicites. L’auditeur peut ainsi traquer les styles propres à des auteurs, identifiables d’une émission à l’autre. Ces documentaires sont conçus par des professionnels qui ont su explorer des univers sociaux (Claire Hauter, Kaye Mortley, Andrew Orr), ou créer un style audio reconnaissable d’une œuvre à une autre (René Farabet, Yann Paranthoën, Jean Couturier, José Pivin).

Le « beau documentaire » peut aussi témoigner de nouvelles formes de narration, qui s’imposent soudainement alors qu’elles étaient peu utilisées jusqu’alors (le recours au « Je » et à l’autobiographie d’abord aux Etats-Unis puis sur Arte Radio ; la tentative de mêler la fiction au documentaire dans le docu-fiction de France Culture), et c’est comme si c’était le réel lui-même que l’auditeur redécouvrait à travers ces innovations.

Le « beau documentaire » se niche aussi dans certaines expériences « limites », qui s’éloignent des conditions de production traditionnelles (l’enregistrement d’interviewés durant plusieurs années, comme pour Les voix du goulag de Valérie Nivelon pour RFI, ou un parti-pris affirmé telle l’œuvre de Floy Krouchi et Nathalie Battus Rien que les os tournée en Inde du Sud, ACR du 9 juillet 2016. Parfois même, le « beau documentaire » est un son brut, qui marque par sa valeur de document, ou par sa force évocatrice (« L’homme au magnétophone », enregistrement privé en forme de prise d’otage d’un psy par son patient, diffusé dans le cadre de l’Atelier de création radiophonique en 1972, le travail documentaire de Claude Johner et Janine Antoine sur la guerre du Vietnam Good morning, Vietnam la même année, Escalader la nuit Notre-Dame de Paris à la recherche d’un peu de poésie par Sophie Nauleau et Véronik Lamendour en 2011).

Le « beau documentaire » peut aussi avoir acquis une dimension artistique avec le temps, de la même manière que certaines photographies. Dans certains cas, il peut témoigner d’une évolution technologique qui l’a rendu possible (l’apparition du Nagra – son créateur Kudelski gagnant un prix en enregistrant le bourdon de Notre-Dame en 1952 –, de la stéréo…), ou qui transforme l’écoute du monde (l’écoute binaurale).

Plus généralement, tandis que le podcast est en plein développement en France, et qu’il prétend révolutionner le domaine de l’audio (Biwen ; Dilworth, 2017), il convient de s’interroger sur la place du beau documentaire dans cet univers. Quelles formes le podcast favorise-t-il, et comment redéfinit-il les modes de production et le champ esthétique du « beau documentaire » ?

Dans ce colloque, l’on s’intéressera aux émissions elles-mêmes, aux parcours d’auteurs, aux modes de narration, aux innovations techniques qui ont permis la création de ces « beaux documentaires ».

Seront aussi bienvenues les propositions qui mettront en avant d’autres dimensions du « beau documentaire », à savoir : les systèmes de financement (Fonds Gulliver, Fonds d’aide à la création en Belgique, Brouillon d’un rêve Scam…) ; les associations accompagnant les auteurs (Atelier de création sonore radiophonique à Bruxelles) ou le défendant (Addor, les Sons Fédérés ) ; les lieux de formation (Créadoc, Université de Poitiers ; Insas, Bruxelles ; ENS Louis Lumière et très récemment La Cassette à Aubervilliers…) ; les réflexions sur les modes de diffusion (transpositions de l’audio vers les espaces scéniques ou muséaux) ; les revues ayant permis des analyses réflexives sur le genre (Syntone) ; les Prix ayant consacré telle ou telle œuvre (Prix Italia ; Prix Europa, Prix Ondas, New-York’s Festival, Prix Longueur d’ondes de la création documentaire radiophonique, Prix Scam, Prix Phonurgia Nova,…).

Les propositions de communication (environ 3000 signes espaces compris) sont à envoyer avant le 17 juillet 2021 à Christophe Deleu (christophe.deleu@unistra.fr), Pierre-Marie Héron (pierre-marie.heron@univ-montp3.fr) et Irène Omélianenko (omelianenko@protonmail.com)

Seront précisés : quelques éléments biobibliographiques, le statut professionnel et/ou le rattachement institutionnel de l’auteur.e de la proposition.

Les propositions peuvent être envoyées tant par les chercheurs que les praticiens.

Les réponses seront adressées le 31 juillet 2021.

Bibliographie indicative

Abel, J., Out of the wire. The storytelling secrets of the masters of radio, Broadway Books, 2015.

Arnheim, R., Radio, Paris : Van Dieren Éditeur « musique », 2005.

Barreau-Brouste, S., Arte et le documentaire. De nouveaux enjeux pour la création, Bry-sur-Marne/Lormont, Ina Éditions /Le bord de l’eau, 2011.

Biewen, J. et Dilworth, A., Reality radio. Telling true stories in sound, The University of North Carolina Press, 2017 (2nd revised edition).

Baumgartner, T., « Les Passagers de la Nuit de France Culture, dispositif collectif d’invention radiophonique », RadioMorphoses [en ligne], n° 4, 2019.

Deleu, C., « Dispositifs de feintise dans le docufiction radiophonique », Questions decommunication n°23, 2013, p. 293-317.

Deleu, C., Le documentaire radiophonique, Paris, Ina-L’Harmattan, 2013.

Deleu, C ; Héron, P-M. ; Le Bail, K. (Textes réunis par), « Atelier de création radiophonique (1969-2001 : la part des écrivains », Komodo n°10, 2019

Deleu, C ; Héron, P-M. ; Le Bail, K. (Textes réunis par), « Nuits Magnétiques (1978-1999 : la part des écrivains », Komodo n°13, 2021

Gauthier, G., Le documentaire, un autre cinéma, Paris, Nathan Université, 1995.

Glevarec, H., France Culture à l’œuvre. Dynamique des professions et mise en forme radiophonique, Paris : CNRS Éditions, 2011.

Guynn, W., Un cinéma de non-fiction, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2001

Lugeon, O., Le style documentaire d’August Dander à Walker Evans, 1920-1945, Éditions Macula, 2011 (troisième édition).

Niney, F., L’épreuve du réel à l’écran. Essai sur le principe de réalité documentaire, Bruxelles, De Boeck, 2édition, 2002.

Rosset, C. (dir.), Yann Paranthoën, L’art de la radio, Phonurgia Nova, 2009.

Todd, C., Carlos Larronde (1888-1940), Poète des ondes, Paris, L’Harmattan/Bry-sur-Marne, Ina, 2007.

Veyrat-Masson, I., Télévision et histoire, la confusion des genres. Docudramas, docufictions et fictions du réel, Bry-sur-Marne, Ina/Bruxelles, De Boeck, 2008.