ChatGPT et le droit: enjeux juridiques des IA génératives

Le professeur Gilliéron, avocat spécialisé en propriété intellectuelle et droits des technologies à Lausanne, dresse un état des lieux des questions juridiques soulevées par l’émergence des IA génératives. Enseignant depuis 2006 à l’Université de Lausanne, il apporte un double éclairage sur les implications légales et pédagogiques de ces nouveaux outils.

Un cadre juridique en construction

Selon le professeur Gilliéron, le monde juridique accueille ces nouvelles technologies « avec un certain retard ». Si l’IA n’est pas nouvelle, sa démocratisation via des outils gratuits comme ChatGPT a accéléré la prise de conscience des enjeux. À ce jour, aucune réglementation spécifique n’est en vigueur, mais des efforts législatifs sont en cours, particulièrement au niveau européen avec une proposition de règlement sur l’intelligence artificielle.

L’Union européenne apparaît comme pionnière dans ce domaine, tandis que les États-Unis privilégient une approche plus souple favorisant l’innovation. La Chine, quant à elle, opte pour un encadrement plus strict pour des raisons de contrôle.

Impact sur les professions juridiques

Ces technologies promettent de transformer significativement les métiers du droit. À court terme, elles peuvent servir d’outils d’aide à la rédaction et à la recherche. À moyen terme, les clients pourraient exiger leur utilisation pour réduire les coûts. Certaines grandes entreprises américaines espèrent réaliser jusqu’à 40% d’économies grâce à ces outils, ce qui pourrait entraîner une réduction des effectifs et une réorganisation du travail juridique externalisé.

Implications pour l’enseignement du droit

Face à ces évolutions, le professeur Gilliéron préconise une approche pragmatique dans l’enseignement. Plutôt que d’interdire ces outils, il recommande d’éduquer les étudiants à leur utilisation critique : « Il faut avoir un certain niveau d’expertise pour pouvoir poser les bonnes questions, parce que c’est en posant les bonnes questions qu’on peut avoir une approche critique sur les réponses qui sont générées. »

Questions d’intégrité académique

La définition traditionnelle du plagiat, basée sur la reprise du « texte d’autrui », ne s’applique pas directement aux contenus générés par l’IA, ces derniers n’étant pas considérés comme des « créations de l’esprit ». La question doit plutôt être abordée sous l’angle de l’intégrité scientifique, impliquant une transparence sur l’utilisation de ces outils et la méthode employée.

Enjeux de propriété intellectuelle

La question des droits d’auteur se pose particulièrement pour les générateurs d’images qui s’entraînent sur des milliards d’images protégées. Des actions en justice ont été intentées aux États-Unis contre des plateformes comme Midjourney et DALL-E. La légalité de ces pratiques dépendra de l’interprétation des exceptions au droit d’auteur, qui varient selon les juridictions.

Protection des données personnelles

Le professeur souligne les risques liés à la protection des données personnelles, illustrés par l’interdiction temporaire de ChatGPT en Italie. Il recommande d’éviter d’utiliser des données personnelles dans les prompts et note qu’OpenAI envisage de permettre aux utilisateurs d’exclure leurs prompts de l’entraînement futur du système.

En conclusion, le professeur Gilliéron souligne l’importance d’une éducation approfondie sur l’utilisation appropriée de ces outils, tant pour les aspects juridiques que pour la protection des données sensibles. Ces questions continueront d’évoluer rapidement dans les mois à venir, nécessitant une attention constante de la part des juristes et des enseignants.